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à Rome un corps diplomatique au grand complet. Toutes les cours amies ou neutres et les puissances hostiles à la France étaient, par usage immémorial, en droit d’y accréditer et d’y entretenir, même en temps de guerre, des représentans officiels. Les puissances catholiques avaient coutume de choisir pour remplir cette mission de confiance des hommes haut placés dans l’opinion de leur pays. Par courtoisie et par calcul, les pays non catholiques imitaient leur exemple et se faisaient honneur d’y envoyer leur plus éminens diplomates. Naguère encore la Russie schismatique avait presque réussi, à propos de l’affaire de M. de Vernegues, à contre-balancer auprès du Vatican l’influence française. La protestante Angleterre venait d’établir à Rome comme ministre accrédité auprès du roi de Sardaigne un certain M. Jackson, dont Napoléon ne pouvait prononcer le nom sans colère. Le propre frère de l’empereur, Lucien Bonaparte, y vivait en grande liberté, usant de l’hospitalité du saint-père pour parler sans nulle gêne des affaires de France et raconter à sa guise le rôle prépondérant qu’il avait joué dans la fameuse journée du 18 brumaire. Voilà ce qui offusquait le chef ombrageux du nouvel empire, français. Tout ce qui se passait, tout ce qui se disait ou ne se disait pas dans cette espèce de grand cercle européen placé si loin de sa surveillance était d’autant plus désagréable à Napoléon, que son oncle, le cardinal Fesch, toujours porté à la méfiance, lui dépeignait cette société comme animée à son égard des plus malveillantes dispositions. Rien de moins vrai, ou du moins de plus exagéré. A Rome non plus qu’ailleurs, on ne se serait pas permis à cette époque de parler légèrement de l’homme redoutable qui venait d’infliger de si sévères leçons à l’orgueil des grandes puissances continentales. Il s’en fallait de beaucoup qu’on osât seulement y mettre en question la supériorité de ses armées sur tous les champs de bataille où l’Europe continentale oserait se risquer à les attendre ; mais il faut le reconnaître, le désastre de la marine française à Trafalgar avait retenti de l’autre côté, des Alpes presque à l’égal de la grande victoire que nous avions remportée à Austerlitz. Le nom de l’amiral Nelson était alors très populaire parmi les habitans du midi de l’Italie. — Combien de fois, les Napolitains ne l’avaient-ils pas salué de leurs acclamations lorsqu’il promenait sur ses vaisseaux l’orgueilleuse reine Caroline et la belle duchesse d’Hamilton ! C’était dans leur golfe voluptueux, près de celle dont il était épris, qu’il avait l’habitude de venir se reposer de ses nombreuses croisières. Naguère encore les habitans des côtes, l’avaient vu parcourir en tous seps la Méditerranée à la recherche de l’amiral Villeneuve. Ils se figuraient presque avoir assisté du haut de leurs rivages à la sanglante tragédie de