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Il faut relever aussi, quand on parle du second Ésaïe, les traits d’ironie sanglante lancés par le prophète juif contre le culte idolâtre dont il est témoin. Le puritanisme israélite se venge à cœur-joie de son humiliation temporelle en bafouant du haut de sa supériorité religieuse les superstitions de ses vainqueurs. Il savoure l’acre plaisir qu’on éprouve à mépriser plus fort que soi. Il se moque des astrologues de la Chaldée, ces « découpeurs du ciel, » et ne croit pas un mot des prédictions qu’ils fondent sur leurs calculs. Il nargue ces adorateurs d’idoles de métal que l’on fabrique à volonté et qui d’elles-mêmes ne peuvent pas seulement bouger :


« Ils répandent l’or de leur bourse, — ils pèsent l’argent à la balance ; — puis ils paient un fondeur qui leur en fait un dieu, — ensuite ils se prosternent et ils adorent. — Ils relèvent sur leurs épaules et le portent, — ils le mettent en place, et il y reste, — il ne bouge pas de sa place, — on crie vers lui, et il ne répond point… »


Mais surtout ce prophète devient éloquent et tragique lorsque, devançant la marche des temps, il contemple Babylone subissant le même sort que Jérusalem :


« Descends, assieds-toi dans la poussière, — vierge fille de Babylone, — assieds-toi par terre, et non sur un trône, — fille des Chaldéens ! — On ne t’appellera plus délicate et voluptueuse. — Prends les deux meules et mouds du blé, ôte ton voile et relève ta robe, — découvre ta cuisse pour passer les torrens ; — montre ta nudité, que l’on voie ta honte ! »


Il se rappelait sans doute que les plus nobles filles de Jérusalem avaient dû endurer ces traitemens ignominieux quand elles avaient été enlevées au pays natal. Nous savons qu’il est ici plus passionné qu’exact dans ses prédictions. Babylone, déchue en rang, resta longtemps encore très florissante. Alexandre la trouva debout, et elle ne fut totalement détruite que beaucoup plus tard, et d’une manière lente et graduelle. À partir des Séleucides, la décadence de Babylone devint chaque jour plus sensible ; au temps de Strabon, elle était presque déserte. Abulféda, au XIIIe siècle, en par le comme d’une ville entièrement ruinée ; mais ce lent déclin ne ressemble guère à la catastrophe soudaine et irrémédiable dont elle était menacée par les prophètes juifs.

Le second Ésaïe ne fut pas seul parmi les Juifs exilés à prévoir la chute prochaine de la puissance chaldéenne. Parmi les fragmens intercalés dans la première partie du livre d’Ésaïe, il en est un d’une grande beauté poétique, et qui montre que d’autres encore s’attendaient à la destruction totale de la superbe ville. L’auteur