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esprit qu'ayant entendu un certain bruit il retournera dans son pays. » E ) bien ! l’on peut conjecturer avec vraisemblance le genre de nouvelles qui dut parvenir au roi d’Assyrie : les Égyptiens enfin s’ébranlaient, Séthos rassemblait une armée sous les murs de Péluse ; l’Éthiopien Tirhaka s’avançait à grands pas pour le rejoindre. En même temps, comme nous pouvons le conclure de l’inscription même de Sennachérib, la nouvelle devait lui parvenir des mouvemens insurrectionnels de Babylone et des sérieux dangers dont ils menaçaient l’empire tout entier. Il est clair qu’avec une année décimée par la maladie, arrêtée sous les murs d’une ville très forte, il ne pouvait attendre l’arrivée de ses ennemis du sud, et qu’au contraire, sans se donner le temps d’ensevelir ses morts, il devait aller en toute hâte étouffer la révolte chaldéenne. De la sorte, tout s’explique ; mais ces raisons politiques et stratégiques échappèrent au peuple de Jérusalem, qui ne connut que le fléau envoyé par Jéhovah pour forcer son implacable ennemi à la retraite. Aussi ce souvenir fut-il le seul que conserva la tradition nationale. L’inscription déjà citée prouve de plus que ce fut sous les murs de Jérusalem, et non près de Péluse, comme le voulait la tradition égyptienne, que Sennachérib se vit forcé à une retraite qui dut peser lourdement sur son orgueil.

Quoi qu’il en soit, la foi d’Ésaïe avait eu de nouveau raison contre les calculs de la politique et contre les terreurs du prince et du peuple. Il pouvait entonner un chant de triomphe et crier à Sennachérib s’enfuyant en toute hâte :


« Elle te méprise, elle se rit de toi, la vierge fille de Sion ; — elle secoue la tête, derrière toi, la fille de Jérusalem… »


Cette réalisation inespérée de ses prédictions dut rehausser encore son autorité auprès d’Ézéchias, dont il fut l’inspirateur et le conseiller intime. La tradition, qui accepte toujours complaisamment les miracles dans la biographie des personnages qu’elle révère, prétend même que, pour donner par la bouche d’Ésaïe au roi malade, un signe de sa protection certaine, Dieu fît reculer de dix degrés déjà parcourus l’ombre tracée par le soleil sur le cadran royal. On est décidément ici en pleine légende ; mais, ne l’oublions jamais, la légende populaire ne s’empare que de ceux qui le méritent.

Revenons à l’histoire. C’est sans doute Êsaïe qui guida Ézéchias dans ses efforts pour purifier le culte de Jéhovah, lui assurer la prédominance et en particulier pour rattacher à Jérusalem les familles israélites du nord qui avaient échappé aux déportations. Ces familles, sous le poids du malheur, sentirent se réveiller les vieilles affinités de croyance et de race qui les unissaient à leurs frères de