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son redoutable ennemi, etc. Les choses sont, il est vrai, groupées un peu autrement, le tribut d’Ézéchias vient à la fin quand il aurait dû venir au commencement ; mais cela est commandé par la nécessité, on ne peut pas finir par l’aveu d’une attaque manquée contre Jérusalem. Et pourtant comme il est visible que le narrateur est embarrassé et cherche à noyer l’aveu qu’il fait indirectement de son échec dans des détails ou se complaît son colossal amour-propre ! En définitive, il dit bien qu’il a assiégé Jérusalem, mais il ne dit pas qu’il y soit entré, ce qui eût été l’essentiel. Comment s’imaginer qu’il eût omis de le dire, s’il l’eût osé, et n’y a-t-il pas une rancune mal dissimulée dans sa sortie contre Ézéchias le Juif « enfermé dans sa ville comme un oiseau dans sa cage ? »

Cette réticence de Sennachérib lui-même confirme donc entièrement la donnée scripturaire d’un événement fort grave qui l’aurait forcé de lever précipitamment le siège de Jérusalem. Il est fort remarquable aussi qu’Hérodote, dont les yeux de furet n’ont pas découvert le peuple juif, ait entendu parler en Égypte de l’insuccès qui mit fin à la campagne de Sennachérib contre ce pays. Là on lui a raconté que, dans un moment où le sort de l’Égypte semblait désespéré, une intervention divine la sauva en réduisant l’armée assyrienne à une totale impuissance dans les environs de Péluse ; mais, tandis que l’historien hébreu fait apparaître l’ange exterminateur de Jéhovah, le narrateur égyptien fait surgir une énorme quantité de rats dévorant dans l’espace d’une nuit les carquois, les arcs et les boucliers des Assyriens, qui n’ont plus qu’à s’enfuir. Le récit hébreu est plus grandiose à la fois et plus simple, et il y a évidemment dans les deux versions l’écho d’un même fait.

L’opinion la plus répandue est que le départ précipité de Sennachérib fut causé par une peste qui éclata brusquement parmi ses soldats entassés dans les arides environs de Jérusalem. Un tel fléau, dans les idées israélites, revêt aisément l’apparence d’une révélation de la colère divine[1], dont l’ange de Jéhovah est le ministre. La maladie dont Ézéchias fut atteint vers le même temps ressemble assez à la peste ; mais avec quelque rapidité que la peste se soit déclarée, on s’explique mal l’extrême promptitude, le caractère inespéré de cette levée du siège. Ne vaudrait-il pas mieux joindre à cette hypothèse, qui conserve en tout cas sa valeur, celle d’une coïncidence de nouvelles fâcheuses qui déterminèrent Sennachérib à se retirer en toute hâte ? Le second livre des Rois[2] met textuellement dans la bouche d’Ésaïe parlant au nom de Jéhovah pour rassurer Ézéchias : « Voici, je vais mettre en Sennachérib un tel

  1. On peut le voir II Samuel, XXIV, 15.
  2. XIX, 7.