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raison. Cependant cette influence n’était pas telle qu’il pût détourner Ézéchias de joindre à la protection de Jéhovah, que ce pieux roi ne dédaignait nullement, le concours plus prosaïque des forces alliées. Ésaïe aurait voulu, comme au temps d’Achat, qu’on attendît avec résignation les événemens. Il faut voir avec quelle fierté prophétique[1] il déclare aux envoyés de l’Éthiopien Tirhaka, venus pour traiter avec Ézéchias des conditions de l’alliance, que Jéhovah suffit pour défendre son peuple et anéantir ses oppresseurs quand l’heure en est venue. Le pays pouvait bien être ravagé, mais Jérusalem, mais la ville sainte, mais le temple de Dieu, jamais ! Cette fois encore il eut raison contre toute attente.

Nous touchons à l’un de ces récits de l’histoire sainte dont la sombre grandeur rachète ce que la critique y découvre d’invraisemblances et, pour tout dire, d’impossibilités. Ézéchias, épouvanté, avait tiré du temple et de son trésor tout ce qu’il avait pu y prendre pour apaiser Sennachérib en lui jurant pour l’avenir une fidélité inaltérable. Sennachérib reçut volontiers le tribut, mais il exigea en sus la reddition de Jérusalem. Voulant atteindre les Égyptiens près de Péluse, clé de l’Égypte, il ne se souciait pas de laisser en arrière une ville sympathique à ses ennemis, et il envoya trois de ses officiers, Tartan (c’est-à-dire le podestat, l’homme revêtu du pouvoir), Rabsakeh et Rabsaris, pour engager, moitié par persuasion, moitié par menace, les Jérusalémites à se rendre. Les menaces surtout firent une impression profonde. Le roi et le peuple étaient désespérés.

Ce fut Ésaïe qui releva les courages. Il affirma au nom de Dieu que Jérusalem ne serait pas prise. Puisait-il uniquement son assurance dans son principe favori de l’indestructibilité de la nation élue ? ou bien joignait-il à cette conviction, enracinée chez lui, quelques espérances fondées sur des circonstances à lui connues ? Nous voyons par ses prophéties qu’il était très bien informé de tout ce qui concernait la situation politique de son temps. Quoi qu’il en soit, voici ce que le texte canonique raconte : « Il arriva donc cette nuit-là que l’ange de Jéhovah sortit et frappa cent quatre-vingt-cinq mille hommes dans le camp d’Assour, et quand le matin on s’éveilla, il n’y avait plus que des cadavres. Et Sennachérib, roi d’Assour, leva le camp, s’en alla et retourna habiter à Ninive. »

Il y eut donc un événement imprévu qui fit l’effet d’un miracle aux sujets d’Ézéchias, et sauva Jérusalem d’une destruction qu’on pouvait jusqu’à ce moment croire inévitable. Quel fut cet événement ? car enfin personne ne prend à la lettre cette tuerie de cent quatre-vingt-cinq mille hommes exécutés en une nuit par un ange.

  1. Chap. XVII, 12, — XVIII, 7.