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Démonstration est presque oiseuse. Des discours où il est question de Jérusalem comme d’une ville détruite, de Babylone comme de la reine de l’Orient, des Juifs comme d’un peuple captif, des Mèdes et des Perses, ces nouveau-venus, comme d’un peuple conquérant ; des discours où Cyrus est nommé en toutes lettres, n’ont pu évidemment être composés dans un temps où aucun indice n’annonçait de pareils événemens. La sagacité prophétique peut bien prévoir l’avenir dans ses grands traits, elle ne saurait deviner d’avance et les faits de détail et les noms propres ; mais on trouve encore des esprits sérieux qui croient résoudre l’objection par un appel pur et simple au surnaturel, et par conséquent ne s’étonnent pas qu’un prophète du VIIIe siècle avant notre ère ait su d’avance des choses et des noms qui surprirent profondément le vie.

Eh bien ! même dans l’hypothèse miraculeuse, les raisons qui militent pour la séparation des deux groupes sont trop fortes pour être éludées, et c’est au point que plusieurs théologiens orthodoxes de l’Allemagne, par exemple le pieux et timide M. Umbreit, en ont reconnu la validité. Il y a d’abord des différences de style qui frappent l’hébraïsant exercé. L’hébreu de l’auteur du premier groupe est l’hébreu classique, et peut passer pour un spécimen de la fleur épanouie de la langue ; celui de l’auteur du second est moins pur, déjà mêlé d’expressions araméennes et même parfois aryennes. La phrase de ce dernier a quelque chose de plus coulant, de plus pondéré, de plus littéraire ; on sent, en le lisant, le souffle d’une civilisation plus raffinée. En revanche, il est moins vigoureux et moins original. Les deux groupes sont marqués au coin d’un ardent monothéisme, mais le monothéisme du second est plus absolu et plus radical. Il n’est plus même question de séraphins. Ce monothéisme, rigoureux a subi l’épreuve d’une lutte prolongée, opiniâtre ; il a donc pleinement pris conscience de lui-même et s’est dépouillé de tout alliage compromettant. D’ailleurs il serait très faux de s’imaginer que l’auteur des chapitres XL-LXVI ne parle que de l’avenir. Sans doute il fait des prédictions, mais des prédictions à bref délai, et il parle au présent d’une foule de choses qui n’ont absolument rien de commun avec le temps et les lieux où vivait l’Ésaïe des premiers chapitres. Il vit au milieu d’exilés, s’adresse à eux conformément aux besoins tout particuliers de leur situation, reproche à ceux-ci leur découragement, loue ceux-là de leur persévérance ; il leur annonce à tous la restauration nationale et la fin prochaine de leurs malheurs. Pas un mot ne laisse supposer qu’il décrit une situation future, idéale, au milieu de réalités toutes différentes. Que dis-je ? on peut conclure d’un passage de la fin[1] que

  1. LXVI, 1 et suiv.