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l’être. Est-ce donc impossible ? Je ne le crois pas, et cette ambition a de quoi tenter une âme supérieure.

Que les artistes me permettent de le leur dire, au moment où je prends congé d’eux ; ils croient trop que l’art réside dans l’adresse de la main, et que l’étude des maîtres, c’est-à-dire l’étude de leur manière, peut les conduire à faire des œuvres importantes. C’est là une erreur. Le procédé n’est pas plus l’art que la calligraphie n’est la poésie. Michel-Ange, disait qu’il était l’élève du torse, cela est vrai ; mais il était avant tout et par-dessus tout l’élève des poètes, des philosophes et des historiens : il résumait en lui la science de son temps, et c’est pour cela qu’il fut un homme exceptionnel. Vivant dans des camaraderies complaisantes, dédaignant toute critique et amoureux de tout éloge, les artistes s’étiolent à l’école de l’admiration mutuelle. Quand ils ont trouvé ce qu’ils appellent « une petite lumière » ou « un ton corsé, » ils s’imaginent avoir créé une œuvre. Ils n’ont rien créé du tout. Rien n’est plus douloureux, plus irritant que de voir de belles et précieuses facultés rester stériles parce que nul élément élevé ne vient les féconder. J’hésite à dire le mot, car il est bien dur, mais ce qui paralyse la plupart des artistes, c’est l’ignorance ; leurs compositions le démontrent et le prouvent avec une inéluctable clarté : c’est à cela qu’il faut attribuer la stérilité de leur imagination, et je ne parle pas ici du choix du sujet, je parle seulement de l’ordonnance, qui est une des formes de l’art. La façon dont M. Maisiat a peint récemment un Bouquet de roses prouve qu’il a un esprit cultivé. La main a beau être habile, rapide, ingénieuse, lorsqu’elle n’a rien à reproduire, elle flotte dans le vide et s’atrophie à représenter toujours le même paysan, toujours le même Bédouin, toujours le même Bas-Breton. Si l’habileté d’exécution suffit à faire un artiste, M. Blaise Desgoffes est le plus grand artiste qui ait jamais existé. Non, cela ne suffit pas, il faut autre chose ; il faut que le cerveau commande à la main contrainte d’obéir, et le cerveau ne peut commander que lorsqu’il est incessamment développé. Que serait donc M. Kaulbach sans instruction ? La meilleure partie de son talent est faite de ses lectures. MM. Gustave Moreau et Bida prouvent par leurs œuvres qu’ils sont des lettrés, et c’est ce qui peut-être constitue leur valeur. L’adresse de la main fait les ouvriers habiles, la culture intellectuelle fait les artistes, surtout de nos jours, où la méthode expérimentale est appliquée à tout. J’insiste en terminant : le savoir et le caractère forment seuls les vrais artistes. Ces deux forces indispensables de l’esprit, il est facile.de les acquérir avec de la persistance et de la volonté.


MAXIME Du CAMP.