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le succès très légitime qui accueille son œuvre aujourd’hui l’engagera dorénavant à tenter la chance de nos salons annuels ; il serait intéressant de le comparer à M. Charles Comte, avec lequel il a plus d’un rapport.

Le Saint Luc peignant la Madone, de M. Albert de Vriendt, a d’agréables qualités de facture ; mais le peintre, par un très ingénieux détail de composition, a su donner un intérêt réel à son tableau. Saint Luc, à genoux devant son pupitre, fait le portrait de la Vierge, qui tient le petit Jésus devant elle ; des anges voltigeant écartent les rideaux de façon que le jour éclaire la mère de Dieu et le bambino. C’est là une excellente idée plastique, bien rendue et tout à fait en son lieu. Les peintres en sont généralement si avares qu’il est bon de les louer sans réserve lorsqu’ils sortent ainsi du banal et du rebattu. Cette introduction charmante de personnages imaginaires rappelle le Baptême du Christ que Giotto a peint à fresque dans la chapelle de l’Annunziata de Padoue, Pendant que Jésus est plongé à mi-corps dans le Jourdain, deux anges immobiles, placés sur la rive, attendent qu’il soit sorti de l’eau pour s’essuyer avec les draperies qu’ils tiennent respectueusement à la main. Les peintres, je le sais, dédaignent ces recherches intelligentes et ne font guère cas que du procédé matériel ; en cela, ils se trompent, prennent le métier pour l’art, et ne voient pas qu’une œuvre est tout près d’être bonne lorsque le but où elle tend cherche à s’élever au-dessus des conceptions vulgaires vers lesquelles chacun revient par paresse ou par stérilité.

L’absence d’imagination est en effet un défaut radical chez certains artistes et paralyse parfois une partie de leur talent. M. dorent Wîllems en est la preuve : vivante. A force de se persuader que l’habileté du pinceau était la seule qualité que devait poursuivre un peintre, il en est arrivé, ou peu s’en faut, à ne plus peindre que des étoffes. Il y est passé maître ; ceci n’est point douteux ; le satin n’a plus de mystères pour lui et le velours lui a révélé tous ses secrets. Cela est bien, mais ce n’est pas assez, et sous ces robes à plis traînans, sous ces pourpoints en si jolis draps, on aimerait à sentir un corps humain prêt à se mouvoir. Ce sont de charmantes marionnettes, rien de plus. J’en excepte l’Accouchée cependant, où la femme est très naturellement affaissée dans son lit, où le groupe de l’enfant et de la nourrice est aussi très habilement compris ; mais le défaut d’invention, qui est si manifeste chez M. Willems, se remarque surtout dans la Visite, trois personnes, trois profils, et dans l’Anneau des fiançailles, deux personnes, deux profils ; La variété des attitudes fait cependant partie de la composition des tableaux, et si M. Willems avait étudié les maîtres, même les maîtres