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du mot, car, malgré les efforts souvent considérables qu’elle a faits pour s’assimiler la façon de l’ancienne Italie, la force de son tempérament l’a toujours emportée, et elle est restée imperturbablement anglaise. À ce point de vue, elle est singulièrement curieuse, et parfois même plus étrange qu’on ne voudrait. Elle a beau essayer de représenter des Turcs, des Grecs, des Romains, des Juifs, des Espagnols, la fille de Jephté, Déborah, Venus ou Briséis, Agamemnon, Frédéric le Grand ou Marie-Antoinette, elle ne peint jamais que des visages anglais. C’est une école petite, minutieuse, aigrelette, aiguë, où l’œil et la main ont tout fait, où le cerveau ne s’affirme guère. Elle n’a rien de général ; elle ne procède que par exceptions péniblement cherchées et qui ne sont pas toujours fort heureusement trouvées. La peinture d’histoire est réduite à la simple anecdote, ce sont des illustrations plutôt que des tableaux ; la peinture de genre, à force de vouloir être expressive, devient grimacière et frise parfois la caricature de bien près ; je citerai le Paiement du loyer, Tous deux embarrassés, par M. Erstine Nicol. On dirait que l’unique but poursuivi par l’école anglaise est de fournir des sujets à la gravure, car, — c’est là son caractère distinctif et au moins singulier, — ses œuvres, sauf de très rares exceptions, acquièrent sous le burin une valeur et une importance que le pinceau ne parvient jamais à leur donner. Pour être agréables aux yeux et captiver l’attention, il leur faut la marge blanche, la douceur des hachures, l’opposition des teintes sombres et des teintes claires, qui peuvent laisser croire à un coloris habile. Tandis que la gravure n’arrive presque jamais à traduire l’œuvre des véritables maîtres, elle excelle à embellir celle des peintres anglais et à lui donner ce charme qu’elle est loin de posséder dans l’original. L’école du royaume-uni ne peut parvenir à se dégager des préoccupations puériles ; elle ressemble à la vie de la société anglaise, tout y est prévu, réglé, mesuré d’avance ; elle n’ose s’écarter des très étroites limites qu’elle s’est imposée et où elle étouffe. Nul entrain, nulle hardiesse, nulle folie ; une platitude bourgeoise proprette et bien peignée, regardant la nature par le petit bout de la lorgnette et cherchant à la rendre par l’inconcevable fini du détail. Ces tableaux paraissent vus avec des verres de myope ; tout est rapetissé, diminué, étudié brin à brin et jamais dans l’ensemble.

L’école anglaise est manifestement inférieure en 1867 à ce qu’elle était en 1855 ; du moins elle nous paraît telle. Est-ce parce que nous sommes moins surpris par sa singularité ? est-ce parce qu’elle a envoyé des œuvres moins remarquables ? Je ne sais ; mais MM. Millais et Leslie ont aujourd’hui des tableaux qui sont loin de valoir ceux qu’ils nous ont montrés jadis. La tradition de Reynolds est