Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quels événemens ! quelles transformations dans l’état intellectuel, moral, social, politique de la France ! quelles destructions et quels, ; édifices nouveaux ! quelles ruines et quelles origines ! et quelles épreuves, quelles tentations pour les hommes jetés sur le cours d’un tel torrent ! quels périls pour leur jugement et leur vertu !

Les épreuves ont amené les chutes ; les tentations ont fait éclater les faiblesses ; la profondeur des revers a donné la mesure de la gravité des périls. Depuis bientôt un siècle, trois générations, les partis et les individus, ont été en proie à des variations, à des corruptions, à des troubles inouïs dans leur pensée, et leur conduite. Les déceptions ont égalé les prétentions ; les désertions ont surpassé les témérités. Jamais plus grand spectacle n’a été mêlé de plus de funestes et tristes scènes. Cependant, au milieu de ces vicissitudes contradictoires, sous cette fermentation obscure et impure, il y a toujours eu en France, depuis la fin du XVIIIe et dans tout le cours du XIXe siècle, un vrai et constant sentiment public, un désir et un effort intime vers un but permanent et légitime. Sous tous les régimes et en dehors de tous les partis, il y a eu un parti du bon sens et du sens moral, un parti des honnêtes gens et des esprits modérés, voulant le respect de tous les droits divers et le développement à la fois libre et régulier de toutes les forces saines de l’humanité : parti sans cesse froissé, trompé, égaré, vain et battu en apparence, mais toujours subsistant et renaissant malgré ses fautes et ses revers, ses mécomptes et ses découragement ; timide et inquiet, mais vrai et persévérant représentant du vœu national et de la bonne cause au milieu des problèmes et des orages de la civilisation européenne.

C’est au sein de ce parti qu’est né, a été élevé, a constamment vécu M. de Barante. Il lui appartenait dès son berceau par les traditions et les tendances de sa famille. Il lui a donné lui-même, et de sa propre volonté, sa foi et sa vie.

Ses ancêtres, dont le nom propre était Brugière, étaient vers 1550 des négocians notables et riches dans la petite ville de Thiers, alors très commerçante. En 1617, l’un d’eux, Antoine Brugière, acheta la métairie noble de Barante, et en prit le nom, qui devint celui de ses descendans, toujours restés propriétaires de ce domaine agrandi. Ils furent dès lors en Auvergne une des familles les plus considérées de cette haute bourgeoisie qui, par le travail commercial ou agricole, par les fonctions locales, par l’autorité des mœurs et des lumières, s’était fait, en France cette grande place qu’on ne sut pas lui reconnaître alors dans le gouvernement de l’état, et qu’à défaut de ce légitime progrès elle devait se faire d’un seul coup, bien plus grande encore, par la plus grande des révolutions sociales