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mélange de grandeur à la fois austère et juvénile dont les Américains du Nord ont le secret. Les Indiens soumis de ces contrées simulèrent devant les invités une guerre de tribu à tribu, et une portion des prairies fut incendiée au retour pour donner aux excursionistes une idée des désastres que le feu sème quelquefois spontanément au milieu du désert ou de la forêt. Enfin le premier numéro d’un journal, le Railway-Pionneer, fut composé et tiré pendant le cours de cette curieuse promenade, au moyen d’une petite imprimerie installée sur l’un des wagons.

Le 24 octobre, à huit heures du soir, le train arrivait à destination, au fort Mac-Pherson, à 280 milles d’Omaha. Le lendemain matin, après avoir parcouru 16 kilomètres créés depuis le moment où l’on avait quitté les quais de New-York, les voyageurs assistaient à la pose des rails. On plaçait devant eux une longueur de 250 mètres de voie en quelques heures. La construction du chemin de. fer marchait alors avec la vitesse de près de trois kilomètres par jour. Cette vitesse est plus grande, — nous fait remarquer M. le colonel Heine, attaché à la légation des États-Unis en France, et de qui nous tenons ces intéressais détails, — cette vitesse est plus grande que celle des pèlerins de l’Inde, mesurant avec leur corps. la route des pagodes.

Les dernières nouvelles, reçues de l’Amérique du Nord annoncent que les travaux ne se sont pas un instant ralentis. Une section de 150 milles est ouverte sur le versant du Pacifique, de moitié presque aussi longue que celle qui part d’Omaha. Il en résulte que, sur les 1,800 milles qui séparent les deux stations extrêmes du chemin de fer du Pacifique, un quart environ est déjà livré, et ce quart, ne l’oublions pas, embrasse une longueur égale à celle de la France. Dans trois ans, quatre ans au plus tard, le railway transcontinental sera entièrement achevé. Alors une ligne ferrée continue reliera New-York à San-Francisco, l’Atlantique au Pacifique ; alors aura retenti, d’un rivage à l’autre des deux océans, le go ahead américain ; des territoires qui ne sont encore pour la plupart que des déserts seront devenus, grâce à la voie ferrée, des états peuplés et prospères, semés de villes florissantes. Devant la civilisation auront disparu le bison et le peau-rouge, et les prairies du far-west n’existeront plus que dans les romans de Cooper. Nous, nous ne lançons le railway que vers les pays populeux ; les Yankees, agissant d’une façon inverse, s’en servent quelquefois pour appeler la population vers leurs immenses territoires. Il y a mieux, le railway inter-océanique est la route la plus directe de Paris à Canton, de Londres à Shang-haï. Et c’est au moment où l’extrême Orient s’ouvre à l’Europe qu’un tel phénomène a lieu ! Qui donc cherchait le plus court passage pour franchir l’isthme américain ? L’isthme est franchi par ce ruban de fer ; désormais, grâce à la vapeur, la Chine et le Japon ne sont plus qu’à un mois de l’Europe. Le chemin de fer du Pacifique va devenir en peu d’années la grande route commerciale du globe, il justifiera une fois de plus cette loi de l’histoire qui