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chaussées, n’avaient nivelé la voie, ni décrété le sens du parcours. La nature, qui n’avait jeté que très peu d’obstacles matériels sur le chemin, et l’esprit pratique des Américains avaient seuls tout fait et tout prévu.

Aux services des overland mails, ouverts dès 1857, vint bientôt s’en joindre un autre encore plus miraculeux, celui du poney, installé en 1860. Celui-ci franchissait en six jours, au moyen d’un cheval rapide ou poney, la distance de 1,600 milles ou 650 lieues qui existait alors entre l’extrême limite télégraphique des états de l’est et celle des états de l’ouest. Cheval et cavalier se renouvelaient à chaque station, et la bête partait au galop, arrêtée quelquefois en chemin par le peau-rouge qui guettait le coureur pour le tuer et voler le cheval. Ce service fit néanmoins merveille, et ce fut par ce moyen, que le 12 novembre 1860 furent apportées à San-Francisco les dépêches d’Europe du 21 octobre, c’est-à-dire vieilles de vingt jours, et la nouvelle de l’élection présidentielle du 6 novembre, qui donnait la majorité au candidat abolitioniste Lincoln.

Tels étaient les différens services, plutôt privés que publics, qui avaient préludé à l’établissement d’une ligne télégraphique et ferrée continue entre le Pacifique et l’Atlantique. Inutile de dire que la ligne télégraphique fut bientôt achevée, et que les perfectionnemens, apportés au service de la malle de terre allèrent toujours croissant. Jamais aux temps anciens de l’histoire les courriers des césars ou des princes mogols et jamais de nos jours ceux des empereurs de Russie n’avaient parcouru si rapidement d’aussi longues distances ; mais les Yankees n’étaient pas hommes à s’arrêter en si bonne voie, et nous ayons vu que dès 1859 le gouvernement de Washington, avait fait étudier sept projets de chemins de fer pour unir les deux océans. D’où venait le retard dans la mise à exécution de l’un de ces projets, de celui qui était réputé le meilleur ? De la rivalité et de l’opposition jalouse des états du sud, qui, voyant la Californie hostile à l’esclavage, essayaient d’arrêter l’essor de ce nouvel état, et ne voulaient pas que la grande voie ferrée se dirigeât vers l’Atlantique par d’autres territoires que les leurs. Ce n’est pas seulement, on le voit, dans les pays centralisés, c’est encore dans les pays libres et de régime républicain que l’adoption des meilleures mesures peut être entravée par la résistance d’une majorité aveugle. Bientôt la guerre de sécession éclata entre le nord et le sud, guerre depuis longtemps prévue et dont la cause principale fut précisément cette question de l’esclavage qui divisait si profondément la grande république américaine. La rupture momentanée de l’ancien pacte d’union fut au moins bonne à quelque chose. En 1862, le président Lincoln, de la même plume qui abolit à tout jamais, l’esclavage sur le sol fédéral, signa le décret qui arrêtait irrévocablement le tracé du chemin de fer du Pacifique, et qui désignait comme point de départ la ville d’Omaha sur le Missouri.

Omaha, tête de ligne de la voie ferrée dont nous allons maintenant