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chambre des communes. M. Disraeli a eu une habileté et un courage : l’habileté a été d’être toujours prêt à se servir de la collaboration de la chambre dans la confection de la loi ; le courage a été de donner pour base à la franchise électorale un principe simple et large qui ne se mutile point dans des cens électoraux arbitraires comme les propositions antérieures des gouvernemens whigs et du parti libéral. Quiconque dans les bourgs aura uni domicile d’un an et aura payé la taxe sera électeur. Les whigs cherchaient à faire des catégories dans leurs adjonctions projetées au corps électoral ; ils voulaient écrémer en quelque sorte les populations ouvrières en attachant la fonction électorale à un cens assez élevé pour indiquer chez l’électeur l’assiduité du travail et une aisance relative. Plus libéral que les whigs, M. Disraeli a repoussé cette classification déterminée par un chiffre arbitraire, et a consacré par la généralité de son principe une égalité équitable. Il n’a pas craint de descendre jusqu’au résidu des classes populaires, comme ses adversaires le lui ont reproché par une expression qui a été fort à la mode dans les débats sur la réforme. À ce reproche, M. Disraeli peut répondre, qu’en tarifant le cens électoral on n’en unissait pas avec l’agitation pour la réforme, que dans le système whig rien n’empêchait, après un abaissement de cens, d’en réclamer un nouveau en faveur d’une catégorie inférieure, et qu’on laissait ainsi aux dépens de la concorde publique subsister des luttes de classe. Nous croyons que l’opinion en Angleterre était loin d’être passionnée pour une réforme électorale dont l’abondance de toutes les libertés lui permettait de se passer. La question étant cependant le programme des chefs du parti whig et du parti libéral ; les projets de réforme ayant été à plusieurs reprises pour les cabinets la promesse de leurs débuts ou la pierre d’achoppement de leur marche, des associations et des meetings étant organisés partout pour remuer les passions populaires, le bon sens anglais a conclu de tout cela qu’il était nécessaire de couper court à l’agitation en lui enlevant le prétexte de toute revendication nouvelle en faveur de l’extension du droit électoral. On croit pour cette fois tenir en cette matière de la représentation nationale ce que les Anglais appellent la finalité. La réforme produira-t-elle des changemens considérables dans le gouvernement de l’Angleterre ? Les plus prudens secouent la tête ; lord Derby à la chambre des pairs, comme le caricaturiste du Punch, dit : Nous allons faire un saut dans les ténèbres. Les ténèbres ne seront point profondes ; le saut ne sera point dangereux. Quelques centaines de milliers d’électeurs de plus ou de moins dans un pays jouissant franchement de toutes les libertés nécessaires ne changent rien au caractère national. M. Disraeli a rencontré dans son parti un petit nombre de récalcitrans qui lui ont opposa des critiques sévères ; mais, à vrai dire, son influence a grandi, et le cercle de ses amis et de ses admirateurs s’est étendu. L’art et l’aménité avec lesquels il manie