Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/1041

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait sans contredit dans cette façon grandiose d’aborder et de vaincre les obstacles une preuve de puissance et un sentiment de la beauté architecturale qui nous frappent encore très vivement. Nos œuvres modernes, moins apparentes, plus modestes et plus économiques, se contentent d’être conçues sur un plan plus rationnel.

Les habitats de la ville éternelle ne consommèrent durant quatre siècles que les eaux du Tibre, jaunes en la saison des pluies, tièdes en été, et celles de quelques sources où citernes qui se trouvaient dans l’enceinte de la cité. Eh l’année 441 de la fondation de Rome, le censeur Appius Claudius conçut et exécuta le projet de réunir les sources éparses sur la montagne de Frascati, à sept ou huit milles de distance, et de les conduire en ville par un aqueduc. Peu de temps après, un second canal, construit avec les dépouilles du roi Pyrrhus, amena dans les hauts quartiers de Rome les eaux de l’Arno ; mais celles-ci, troubles comme toutes les eaux de rivière, durent être réservées pour l’arrosage des jardins. D’autres dérivations furent établies plus tard à mesure que la population croissait en nombre et en besoins. Auguste fit venir les eaux du lac Alsietina afin d’alimenter la naumachie qu’il venait de créer. En résumé, il existait à la fin du premier siècle de l’ère chrétienne neuf aqueducs qui tous ensemble amenaient chaque jour 1,500 mille mètres cubes d’eau sur les sept collines, soit à peu près autant que la Marne en verse dans la Seine en temps ordinaire ; et quatre fois plus que n’en reçoit aujourd’hui la population de Paris. Certains aqueducs débouchaient à quelques mètres seulement au-dessus des quais du Tibre et desservaient les quartiers bas ; d’autres arrivaient sur les points les plus élevés. Les eaux, après s’être clarifiées dans de gigantesques réservoirs, étaient réparties entre les fontaines monumentales ou privées, les thermes, les camps, les théâtres ; une portion était dévolue aux jardins, aux égouts et aux voies publiques ! Le consul Frontin, qui vivait au temps de l’empereur Nerva, et remplissait les hautes fonctions de curateur des eaux, a décrit dans ses Commentaires l’admirable organisation de ces précieux ouvrages. Ce n’est plus que par ses écrits qu’il nous est possible de savoir ce qu’ils furent autrefois, car les Goths coupèrent tous les aqueducs en l’an 537 de notre ère, et Rome n’eut plus à boire