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nous ne pouvons vivre, présentent un intérêt incontestable. la qualité des eaux répandues à la surface du globe avait été de tout temps l’objet des préoccupations publiques ; le vulgaire leur attribuait, par d’invincibles préjugés que la science a souvent reconnus justes, une influence prépondérante sur l’état de santé ou de maladie des populations. Il est heureux qu’on puisse enfin en connaître la composition par des méthodes simples et efficaces, bon moyen de prévenir des dangers ou de calmer des inquiétudes en temps d’épidémie[1]. Toutefois on aurait tort de mettre trop de confiances en une seule épreuve. Après avoir constaté qu’une eau est suffisamment exempte de matières organiques parce qu’elle est de conservation facile, après avoir déterminé le titrage hydrotimétrique qui indique ce qu’elle contient de sels terreux, il serait prématuré de porter un jugement définitif sur ce qu’elle vaut en tant que boisson. Ce ne sont que des présomptions. Le mode d’action sur l’économie animale des liquides ingérés est soumis à des lois encore mystérieuses ; on en trouve une preuve certaine dans la variété d’effets que produisent les sources minérales, bien que l’analyse chimique n’y découvre souvent aucun caractère spécial. Aussi un savant hygiéniste, M. Michel Lévy, a pu dire avec une exacte vérité que le complément de l’exploration des eaux est dans l’observation des personnes et même des animaux qui en font usage.

Cependant, puisque les analyses chimiques sont encore le guide le plus sûr lorsqu’il s’agit de choisir des eaux pour la consommation d’une ville ou d’un village, on s’est demandé quel est le degré de l’hydrotimètre auquel il convient de s’en tenir, quelle est la proportion de sels dissous qui est favorable à la santé, quelle est la limite qu’on ne pourrait dépasser sans fournir au blanchissage et aux industries diverses des liquides impropres à leurs besoins. Au-dessus de 18°, les eaux incrustent les tuyaux de conduite ; elles tapissent l’intérieur des chaudières à vapeur d’une croûte de dépôts calcaires qui est une cause fréquente d’explosions ; elles cessent d’être agréables au goût, et deviennent dures, malsaines,

  1. Pendant le choléra de 1854, une paroisse de Londres qui n’avait enregistré que vingt cas de maladie jusqu’au 30 août en compta plus de six cents pendant les cinq jours suivans. Au milieu de la désolation que causait cette mortalité, un médecin s’avisa d’accuser les eaux d’un puits public que l’autorité fit interdire ; l’épidémie se calma subitement. Dans une enquête postérieure, il fut constaté que ce puits communiquait avec une fosse d’aisances, et que toutes les personnes qui avaient bu de ces eaux avaient été atteintes du choléra. Ne se dira-t-on pas que le fait a dû se produire en bien d’autres localités ? Choisir pour l’alimentation d’une ville des eaux de sources recueillies au milieu des champs, les amener dans un canal souterrain à l’abri des atteintes des hommes et des animaux, c’est prévenir de tels accidens autant que la sagesse humaine en est capable.