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Cugia devait passer le Mincio plus haut, à Ferri, et camper derrière Bixio, à peu de distance de la division Brignone, du 1er corps, établie à Pozzuolo. Quant au corps de Cucchiari, il devait franchir la frontière près de Mantoue, pour porter au besoin le lendemain les divisions Longoni et Angioletti jusqu’à Goïto à l’appui du mouvement général. Le roi suivait le 3e corps et passa la nuit à Goïto.

Cette marche en avant, cette invasion s’accomplissait avec une certaine précision, d’autant plus facile, à vrai dire, que rien ne venait la troubler, et il eût bien mieux valu sans doute qu’elle eût été troublée, car alors le quartier-général italien ne serait pas resté jusqu’au bout dans une grande et dangereuse illusion. La plupart des divisions avaient atteint leurs positions respectives d’assez bonne heure dans l’après-midi du 23 ; mais quel était le sens définitif de cette opération qui commençait comme une promenade militaire ? Que se proposait sérieusement le général La Marmora en faisant ce premier pas au-delà du Mincio ? Les commandans des corps d’armée eux-mêmes paraissaient l’ignorer ; ils ne savaient pas, en un mot, s’ils étaient engagés dans un mouvement à fond ou dans une simple démonstration. Le soir du 23 seulement, ou même assez avant dans la nuit, les généraux apprirent que, quelques heures après, à l’aube du 24, l’armée, reprenant son élan et abordant ce massif montueux dont je parlais, devait se jeter sur la ligne de communication entre Peschiera et Vérone, — Cerale allant prendre position à Castelnovo, Sirtori à Santa-Giustina, Brignone à Sona, Cugia à Sommacampagna, Bixio à Gonfardine, Govone à Pozzo-Moreto, le prince Humbert à Villafranca. — Et ce qui dénotait une confiance bien étrange, c’est que ce mouvement offensif si prononcé était indiqué comme une marche ordinaire qui semblait ne devoir rencontrer aucune difficulté sérieuse. Or voilà justement le nœud de cette campagne de deux jours qui allait se résumer dans une déception cruelle pour l’Italie.

Il y a deux choses dans un plan de guerre : la conception et l’exécution. Aux yeux de bien des militaires, essayer de pénétrer de front dans l’intérieur du quadrilatère, c’était tenter une opération des plus risquées, dans laquelle Charles-Albert avait échoué en 1848, que l’armée française elle-même en 1859 n’avait pas voulu pousser à bout, et qu’on ne pouvait renouveler sans s’exposer à de cruels mécomptes, toujours possibles, en échange d’avantages peu décisifs, dans tous les cas lentement et chèrement conquis. C’était assaillir l’Autriche dans sa partie la plus robuste, là où elle est couverte par cette cuirasse de la double ligne du Mincio et de l’Adige, avec ses places fortes aux feux convergens, au milieu desquels il y avait à se mouvoir. Même dans le cas d’un premier succès qui aurait eu, il est vrai, une grande valeur morale, l’armée italienne se