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importante peut-être, puisque les émotions qu’ils y ressentirent dévoilèrent à leur foi les mystères du monde idéal et divin. Lorsque les tribus nomades parties de l’Asie centrale parvinrent à une époque dont l’histoire écrite n’a pas gardé la date sur les rives du Bosphore, elles venaient de côtoyer, quelques-unes au nord et la plupart au midi, les bords de la Mer-Noire, la mer inhospitalière, fertile en tempêtes, dont les grèves arides et monotones s’allongent à perte de vue sous un ciel triste, souvent assombri par les brouillards septentrionaux. Celles qui avaient contourné la mer Caspienne avaient entrevu avec étonnement des plaines glacées et vides où erraient, pour leurs imaginations superstitieuses, des êtres étranges et effrayans, débris d’une période terrestre pendant laquelle la nature était difforme, tels que ces Illyriens dont le regard donnait la mort, tels que ces montagnards de l’Inde qui avaient une tête de chien et qui aboyaient, ou ces monstres dépourvus de tête et de cou et dont les yeux étaient fixés aux épaules. Au-delà de ces espaces silencieux s’étendaient sans doute des contrées inconnues au soleil, et telles qu’Homère dépeindra le pays des Cimmériens. On les désignait sous le nom de terre des Scythes, inaccessible désert suivant Eschyle, et que fermaient du côté de l’Asie les formidables rochers du Caucase. Si parmi ces voyageurs qui portaient avec eux la civilisation future de la Grèce et de l’Europe s’était perpétuée, malgré tant de hasards et de si longues aventures, la mémoire des belles vallées de l’Indus, de ces campagnes fertiles et de ce ciel où s’élançait chaque matin le char resplendissant d’Agni, dieu de la lumière et de la vie universelle, quels ne durent pas être leur inquiétude et leur découragement ! Sans doute les dieux les avaient abandonnés, puisque dans cette nature morne n’apparaissaient plus les traces consolantes de la Divinité. Les contrées septentrionales inspirèrent toujours dans la suite une vive répulsion à l’esprit hellénique, qui les peupla de redoutables merveilles ; mais les premiers qui atteignirent le Bosphore le saluèrent certainement comme une région sacrée et bienheureuse. Là les collines et les rives étaient encore vierges. Les sommets que le passage des invasions et la négligence des conquérans ont dans la suite presque partout dépouillés, portaient haut un couronnement de pins parasols qui balançaient lentement dans le ciel un dôme de verdure. Dans les vallons touffus couraient en troupeaux des daims et des chevreuils, comme on en voit encore aujourd’hui en liberté dans le parc du Vieux-Sérail, et tels qu’en abritent les murailles à demi écroulées de l’antique Byzance. Alors comme aujourd’hui, les dauphins bondissaient, se poursuivaient dans le Bosphore, et faisaient luire au grand soleil leurs dos couleur d’azur. Et n’y a-t-il pas comme un