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certain. Tant qu’il y aura des esprits de trempe diverse, il en sera ainsi : les uns chercheront l’intérêt fixe et les autres les dividendes.

C’est une observation devenue banale que le goût des fonctions publiques est fort répandu en France. Quelles sont les causes d’une tendance si prononcée ? Il y en a plus d’une assurément, et d’abord la vanité, l’amour du pouvoir, un goût prononcé et presque général pour les honneurs, même au prix de l’indépendance ; mais, à s’en tenir là, l’explication serait très imparfaite. Les solliciteurs considèrent aussi, quelquefois principalement, que les places donnent un revenu fixe, à l’abri de toute incertitude, sans péril autre que l’accident, d’ailleurs bien rare, de la destitution. Le traitement, tant modique soit-il, est fort estimé, surtout à cause de la facilité qu’il offre pour aligner l’actif et le passif dans l’économie domestique. La femme du fonctionnaire ne pense pas autrement que la femme de l’ouvrier, et si l’homme riche recherche les fonctions publiques pour la puissance et les honneurs, la famille du fonctionnaire sans fortune apprécie surtout dans un emploi le traitement qui la fait vivre avec sécurité.

Y aurait-il, comme on l’a souvent dit, une différence de nature entre le salaire et le traitement ? La différence est dans les mots plutôt que dans le fond des choses, et tient peut-être à des idées déjà surannées de supériorité sociale. Le travail manuel a été longtemps considéré comme servile, tandis que le moindre office public conférait, avec certains avantages honorifiques, une sorte d’indépendance. C’est pour exprimer cette inégalité aujourd’hui bien vaine que la rémunération du travail n’a pas été désignée de la même manière dans les deux cas. La distinction n’est pas d’ailleurs très ancienne, et même n’a commencé à s’établir qu’au moment où elle ne répondait plus à la réalité. On disait autrefois les gages d’un connétable, d’un sénéchal, d’un bailli, d’un grand officier de la couronne, et même aujourd’hui on appelle salaire la rémunération de plusieurs employés de l’état, spécialement celle du conservateur des hypothèques. Quoi qu’il en soit, et alors même que certains termes correspondraient à une prétention de supériorité, il n’y aurait pas moins identité de nature, au point de vue économique, entre le salaire et le traitement.

Si cette vérité a, malgré son évidence, été méconnue, c’est que les fonctionnaires qui attirent l’attention par l’importance de leur position ont souvent, indépendamment de leur place, par eux-mêmes ou par leur contrat de mariage, des ressources propres et la sécurité inhérente à la fortune acquise. On ne regarde qu’aux premiers rangs, et là est la cause de l’erreur. Que l’impression serait différente, si on étendait la vue sur la nombreuse armée des