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d’un esprit initié à l’antiquité religieuse par les Métamorphoses d’Ovide et à la Grèce par les fadeurs de l’Anthologie. Wieland n’emprunte au génie antique qu’un seul trait, la facilité des mœurs. Un de ses disciples, auteur de romans bizarres qui respirent un enthousiasme de commande mêlé à des dissertations sociales et à des récits plus que libres, Heinse, représente déjà le dilettantisme pseudo-grec tel que nous pouvons l’observer autour de nous. Il y a un amour de l’antiquité plus sincère et plus contagieux dans les traductions en vers de l’Odyssée et de l’Iliade et dans les Lettres mythologiques de Voss. Grâce aux travaux d’une philologie attentive et moins verbale, le génie grec se dégageait des chefs-d’œuvre littéraires dans toute sa pureté ; l’Introduction à l’étude de l’antique de Heyne, le savant professeur d’Iéna, imprimait aux recherches de cette nature une impulsion énergique, et suggérait quelques années après à Guillaume de Humboldt l’idée d’un livre qui eût été le tableau complet de la civilisation hellénique. L’admiration partielle d’autrefois avait fait place à l’examen plus large de tout ce qui composait la société antique, de sa religion et de ses institutions, principes de ses arts. On en était venu à ne plus séparer ces chefs-d’œuvre des idées morales ou sociales dont ils étaient l’expression, et, à force de proclamer la supériorité des uns, on se vit amené à rendre aux autres une justice qu’on leur avait trop longtemps refusée. Goethe et Schiller ne craignirent pas de se faire les promoteurs de cette réparation, et, au scandale de la foule étonnée comme aux applaudissemens des initiés, ils en déposèrent dans la Fiancée de Corinthe et dans les Dieux de la Grèce le magnifique témoignage. On conçoit ce que cette humiliante comparaison sans cesse renouvelée entre la civilisation de la Grèce et la civilisation moderne telle qu’elle apparaissait en Allemagne, dans une nation dispersée et muette, en face d’une religion déclinante et pourtant oppressive, avec une littérature sans action et comme exilée au milieu de la torpeur et de l’ignorance générales, on conçoit ce que les tentatives de la révolution française, celles de la philosophie et celles de la poésie, se rencontrant par un concert imprévu pour clore un âge de l’humanité et ouvrir à la pensée une nouvelle ère, devaient produire d’exaltation dans la jeunesse des universités, allumer d’espérances, fomenter d’orgueils maladifs, suggérer de beaux rêves. On le comprend mieux encore en lisant une œuvre d’Hœlderlin longtemps élaborée en silence, mais achevée dès cette époque, son roman d’Hypérion, dont nous essaierons bientôt de donner une idée.

Au sortir de l’université, Hœlderlin, riche de connaissances variées et d’un talent déjà mûr, semblait en droit d’espérer une carrière facile ; mais il avait le malheur, assez ordinaire et toujours funeste aux organisations idéalistes, d’entrer dans le monde sans