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traditions qui avaient fait si longtemps sa force et sa gloire, était restée attachée, avec ce respect du passé qui est le propre des Orientaux, à sa vieille organisation ; les phalanges de ses janissaires n’avaient rien perdu de leur courage et de leur audace. Elle eut encore à sa tête des souverains remarquables par leurs talens guerriers ou politiques, dans la direction des affaires ou des armées des hommes d’une incontestable valeur ; mais sa position vis-à-vis de l’Europe chrétienne avait changé, et la supériorité tendait à passer d’un autre côté. Pour rétablir l’équilibre et remonter à ce haut rang qui pouvait maintenant être disputé à l’empire ottoman, il lui était nécessaire de s’initier à la connaissance des inventions qu’avait enfantées la civilisation moderne. C’est ce que comprit un souverain dont le nom marque une ère nouvelle dans les fastes de la Turquie, et qui le premier entreprit de ranimer la sève alanguie de cet arbre jadis vigoureux, encore majestueux et fécond.

Tout le monde a entendu parler des réformes dont le sultan Mahmoud II fut l’initiateur énergique et convaincu, du terrible coup d’état par lequel il anéantit les janissaires, ce corps formidable de prétoriens, ennemis jurés de tout changement, et de ses efforts pour doter ses états d’un système militaire analogue à celui qui existe en Occident. La tâche était laborieuse et immense ; il y épuisa ses forces et mourut à la peine. Ses vues ont été suivies, ses projets continués avec des moyens différens, mais avec non moins de patriotisme par ses deux successeurs, Abdul-Medjid et le sultan actuel Abdul-Aziz, secondés par des ministres dont plusieurs ont acquis une légitime renommée. En ce moment, la Turquie est en travail pour sa rénovation ; elle traverse une crise où elle déploie une bonne volonté dont il faut lui tenir compte, et dont, nous aimons à en concevoir l’espérance, elle sortira régénérée.

Dans cette évolution que subissent ses destinées s’est fait jour un élément de force et de vitalité qui n’existait point il y a quelques années ; les populations chrétiennes, tenues pendant longtemps à l’écart et oubliées, naissent à une vie nouvelle, et apparaissent sur la scène où elles sont appelées à jouer un rôle des plus actifs. L’esprit du siècle les a pénétrées et les remue profondément ; elles ont prouvé qu’elles sont accessibles aux aspirations que peut suggérer le spectacle de l’Europe civilisée. Leurs droits ont été reconnus et proclamés par un gouvernement qui sent combien il lui importe de les rallier et de se les attacher. Elles ont été admises aux fonctions publiques, dont elles étaient autrefois exclues, et elles peuvent contribuer largement à la prospérité de l’empire par leur génie industriel et commercial.

Parmi ces peuples et l’un des plus intéressans à étudier sont les