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mètres en Westphalie ; elles n’ont que 4,000 mètres dans la province de Prusse et 5,000 dans celle de Posen. La grande propriété ne l’emporte même point pour le chiffre du bétail, car sur un mille carré de terrain productif on trouve dans ces deux dernières provinces 2,980 têtes, en ramenant les différens animaux domestiques au type d’une bête à cornes, tandis qu’en Westphalie on en compte 3,569, et 4,024 dans le pays rhénan. La densité de la population est au moins deux fois plus forte dans les provinces occidentales, et cependant les habitans y sont mieux nourris et même plus largement logés. On y compte 6,000 habitans par mille carré et 5 1/2 habitans par maison. En Prusse, en Poméranie et dans le duché de Posen, il n’y a pas 3,000 habitans par mille carré, et il n’y a qu’une maison par 9 habitans. Il est donc démontré qu’en Prusse comme dans le reste de l’Europe, sauf peut-être en Angleterre, la grande propriété donne non-seulement un moindre produit brut, mais aussi un produit net et un revenu inférieurs. Bans un avenir prochain, les questions sociales deviendront pressantes, et l’égalité politique fera naître d’ardentes aspirations vers l’égalité des conditions. Heureux alors les peuples où la propriété trouvera des millions de défenseurs dans ceux qui y prennent part[1] !

Fait bien remarquable à noter, les partages entre héritiers, qui en France produisent fréquemment un morcellement défavorable aux bons procédés de culture, tendent en Prusse à amener un résultat tout opposé. En effet, de 1816 à 1860, ces partages n’ont détruit que 2,298 exploitations à charrue, et ils en ont créé 5,040 par la réunion de parcelles jusque-là divisées : différence 2,742. C’est un phénomène curieux et tout à fait inattendu d’économie sociale. La conservation des fermes à attelage provient de l’habitude qu’ont les paysans de régler le partage de leur vivant. Quand ils deviennent vieux, ils cèdent leur exploitation pour un prix équitable à celui de leurs fils qui est le plus apte à leur succéder : celui-ci se charge de payer la part qui revient à ses frères et sœurs, et il le fait tantôt en leur fournissant du bétail, quand ils s’établissent à leur tour, tantôt au moyen de la dot que sa femme lui apporte. Le respect d’une exploitation considérée comme un ensemble indivisible dont les nécessités de la culture déterminent l’étendue est un sentiment très puissant, héréditairement transmis, et qui suffit presque toujours pour empêcher un morcellement regrettable. Les héritiers vendront le bien plutôt que de le diviser en parcelles qui se

  1. La gravité de la situation de l’Angleterre sous ce rapport a été très bien indiquée par M. Ciffe Leslie dans un récent travail publié par le Fraser’s Magazine. — Voyez aussi la Crise de l’Angleterre à propos de la réforme dans la Revue du 15 avril 1867.