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considérable. Les guerres de trente et de sept ans les ruinèrent et détruisirent même complètement beaucoup de villages. La terre, restée en friche, avait perdu toute valeur ; la noblesse en profita pour arrondir ses domaines, soit par voie d’achat, soit en occupant tout simplement les terres vagues.

Aujourd’hui la Prusse, sauf la province rhénane et la Haute-Silésie, est encore un pays de grande propriété. La statistique de 1861 pour le territoire prussien, qui comprenait alors un peu plus de 28 millions d’hectares, porte 2,141,730 possessions rurales, mais seulement 1,200,000 propriétaires ou 1 propriétaire par 12 habitans et par 20 hectares de superficie, tandis qu’en France on compte 1 propriétaire sur 5 habitans et par 7 hectares.

Dans toutes les provinces orientales de la Prusse, les grandes propriétés occupent plus de la moitié du territoire, et celles de 7 à 75 hectares prennent presque tout le surplus, de sorte qu’il ne reste pour la propriété parcellaire qu’environ 5 pour 100 ; mais ce qu’il y a de plus étrange dans l’organisation de l’exploitation rurale, c’est que presque toutes les terres sont mises en valeur par leurs propriétaires. Contrairement à ce que l’on trouve en Angleterre et en France, le faire valoir est général ; le bail à ferme forme l’exception, et le métayage est inconnu. La statistique contient à ce sujet des chiffres presque incroyables : le nombre des fermiers ne serait que 30,348 pour tout le royaume ; à ce chiffre il faudrait joindre à la rigueur 30,296 locataires pour qui la culture n’est qu’une occupation accessoire[1]. Cette constitution agraire si extraordinaire présente son bon et son mauvais côté. Il est sans doute très désirable que la terre soit exploitée par celui à qui elle appartient. Il est ainsi stimulé à introduire toutes les améliorations profitables, car lui seul en recueille le fruit, et on échappe à cette iniquité périodique du bail à ferme, qui fait qu’à chaque renouvellement du contrat le propriétaire touche souvent le revenu de la plus-value que le travail du locataire ou le progrès de la société a produite. Donc point de régime plus juste, plus favorable au progrès que celui où les propriétaires exploitent eux-mêmes leur bien, à la condition qu’ils soient nombreux, comme en Suisse, en Norvège, aux États-Unis. Dans ce cas, ce régime est très propice à une démocratie réunissant l’ordre à la liberté, car elle a pour base solide la possession du sol. Quand au contraire des propriétaires en petit nombre, possédant des terres considérables, les font valoir par des ouvriers à gages ou des cultivateurs attachés au domaine, comme en Russie, en Pologne ou dans la Prusse orientale, alors les

  1. Jahrbuch fur die antiliche Statistik des preussischen Staats. Berlin 1863, p. 282.