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Rousseau le misanthrope, l’atrabilaire, joyeux et gai pendant plusieurs mois, engraissant comme un moine, composant des comédies pleines de gaîté, rêvant poétiquement sous l’ombrage des vieux ormeaux et se laissant aller à de petits vers tendres et langoureux, n’est-ce pas là pour le lieu qu’il habite le plus glorieux des triomphes ? Niera-t-on après cela que Chenonceau « fût un charmeur universel ? »

Heureux, comme on vient de le voir, sous le règne des Dupin, notre château continua de vivre, sans troubles, sans inquiétudes, jusqu’en 1769. Cette année-là, M. Dupin mourut, et la royale résidence faillit encore une fois passer dans de nouvelles mains. M. de Choiseul, qui alors étalait à Chanteloup la plus fastueuse des disgrâces, eut un caprice pour Chenonceau. Peu s’en fallut que Mme Dupin ne cédât à ses instances ; mais le cœur lui manqua pour consommer le sacrifice. Loin de se résoudre à quitter cette chère demeure, elle sembla s’y attacher davantage, et le témoigna par de plus fréquentes et plus longues visites. Heureuse fortune pour Chenonceau ! En perdant Mme Dupin, il eût perdu la meilleure des maîtresses, et en redevenant une maison princière il se fût préparé de terribles dangers. Le temps approchait où la noblesse et la grandeur équivaudraient à des arrêts de mort. Quand éclata la révolution de 1789, Mme Dupin se réfugia en Touraine. C’est alors que Chenonceau dut se féliciter de ne plus tenir ni aux rois ni aux princes, de n’être plus simplement qu’un bourgeois. Tandis que par toute la France les châteaux étaient en proie au pillage et à l’incendie, Chenonceau restait intact et inviolé. C’était aux vertus de sa maîtresse, à sa bienfaisance, à sa douceur, à sa bonté, qu’était dû ce miracle. Les paysans reconnaissans payaient à leur bien-aimée châtelaine les soins qu’ils en avaient reçus ; ils veillaient avec amour à sa sûreté et à son repos. A la lettre, ils montaient la garde autour du château et se relayaient dans cette pieuse surveillance, tout prêts à repousser de vive force les pilleurs à gages que lançaient de tous côtés les comités révolutionnaires. Comment ne pas admirer à la fois et la femme qui avait su mériter un dévouement si rare, et les braves gens dont les cœurs étaient si fidèles et la reconnaissance si courageuse et si efficace ?

Chenonceau pourtant ne devait pas échapper complètement aux inquiétudes de cette triste époque. Les paysans l’avaient sauvé du pillage, ils ne purent le sauver des gens de loi. Décidément le malheureux château était prédestiné aux persécutions judiciaires. Tout compte fait, en deux siècles et demi, il avait déjà subi trois assauts de ce genre, la révolution lui en valut un quatrième : voici sous quel prétexte. Le 1er décembre 1790, l’assemblée constituante avait confirmé l’ordonnance de Moulins, proclamé à nouveau