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mot n’était pas trop fort. Le revenu de Chenonceau et une maigre pension de 12,000 écus que lui servait à grand’peine Henri IV, pauvre lui-même en ce temps-là, voilà les ressources de celle qui avait été reine de France.

Pourtant elle y trouvait sa suffisance, et sa vie s’écoulait triste et résignée, lorsqu’un nouveau coup vint à la fois la frapper dans son dernier asile et rejeter Chenonceau dans les aventures et les agitations. Un certain jour, à la fin de janvier 1598, les huissiers se présentèrent au château, et sans plus de forme, sans plus de respect pour cette pauvre majesté tombée, sommèrent, en vertu d’un arrêt du parlement, l’infortunée reine de payer les dettes qui grevaient Chenonceau, avec les dépens, intérêts et tout ce qui s’ensuit, « si mieux elle n’aimait déguerpir ladite terre pour être vendue et décrétée. »

Voici ce qui s’était passé. Lorsque dans ses lettres patentes de 1589 Henri III affirmait, pour dégrever Chenonceau, que les autres biens de la succession de Catherine suffiraient à payer les dettes, il outrepassait son droit, mais non pas la vérité. Si Catherine n’était pas morte au milieu des troubles et de la confusion sociale, elle ne fût pas restée insolvable, car il existait positivement dans sa succession des valeurs supérieures à la somme énorme de ses dettes. Dans son hôtel de Paris seulement, rien qu’en marbres antiques, en tableaux et sculptures modernes, en livres rares, en meubles précieux, les créances eussent été couvertes. Il y avait là, c’est un acte du parlement qui le constate, de quoi payer les 800,000 écus de dettes que la feue reine avait laissés.

Malheureusement tout cela était à Paris, et Paris était aux ligueurs. M. de Mayenne et Mme de Montpensier s’installèrent dans l’hôtel de Catherine. Eux et leurs gens vécurent là comme en pays conquis jusqu’à la reddition de Paris, et lorsqu’ils déguerpirent, en 1594, on pense bien qu’ils avaient fait, ou peu s’en faut, maison nette. Les créanciers n’y trouvèrent pas leur compte ; mais à qui s’en prendre ? Il n’y avait pas plus d’héritiers que d’héritage, car, on s’en souvient, le Béarnais et Marguerite s’étaient prudemment mis à l’écart. En désespoir de cause, les créanciers s’adressèrent au parlement, assemblé à Châlons. Le parlement les accueillit (il a toujours aimé se mêler des testamens royaux), et condamna la succession à leur rembourser leurs créances, « faute de quoi faire, les biens tant meubles qu’immeubles, ayant appartenu à la défunte reine seroient vendus, et spécialement les terres et seigneuries de Monceaux, Saint-Maur et Chenonceau. »

C’était cet arrêt qu’on signifiait à Louise de Vaudemont le dernier jour de janvier 1598. Or ce qu’on lui réclamait, ce n’était rien moins qu’un total de soixante mille écus. Pauvre reine ! Il est