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cette couronne qui lui tombe sur la tête, vient vite offrir à sa mère une autorité dont il ne sait que faire, il n’en peut tirer de réponse. Quand les ambassadeurs sont admis à lui porter leurs condoléances, ils voient derrière une sorte de catafalque, à la lueur tremblotante de deux cierges, une forme noire tout enveloppée de voiles funèbres et d’où sort avec peine un murmure étouffé. Voilà Catherine : elle est reine de fait, mais elle craint de le paraître. Tout éclat lui semble dangereux, toute responsabilité redoutable. Ce fut là ce qui sauva Diane. Il fallait entamer une guerre ouverte ; Catherine recula. Trop peu sûre encore de ses armes pour s’avancer en rase campagne, elle aima mieux ne pas couper la retraite à l’ennemi et lui laisser emporter son butin. Pourtant parmi ce butin il y avait un morceau si appétissant et si vivement désiré de Catherine, qu’elle ne put résister à la tentation. C’était Chenonceau. Autrefois Catherine l’avait vu, ce château qui plaisait tant aux femmes. Elle l’avait voulu, demandé, elle s’en était amourachée, et là comme partout sa rivale l’avait emporté. Le dépit, comme on pense, avait entretenu et fortifié son caprice : malgré sa feinte modération, une fois maîtresse du royaume, il n’était guère possible qu’elle laissât Mme de Valentinois en possession de ce trésor.

Diane, de son côté, n’était pas disposée à lui céder la place. Les mères, dit-on, aiment leurs enfans d’autant plus qu’ils leur ont coûté plus de peines. A ce compte, on conviendra que Diane devait terriblement aimer Chenonceau. Rappelez-vous les persécutions de ce pauvre Bohier et tout ce procès inique pour effacer la tache domaniale. Quand on fait de ces vilenies, c’est pour qu’elles servent à quelque chose. Diane avait mis la loi, sinon le droit, de son côté, et au point de vue de la chicane sa position à Chenonceau était inexpugnable. Elle fit donc la sourde oreille, et, décidée à tenir bon, se retrancha derrière ses paperasses ; mais Catherine prit un autre chemin. Les députés des provinces étaient alors assemblés à Pontoise. Un beau matin, ils furent saisis d’une proposition royale tendant à annuler toutes les libéralités faites par les feus rois François Ier et Henri II. Le trésor avait besoin d’argent, les coffres étaient vides, voilà le moyen de les remplir. Qui s’avisera d’aller chercher là-dessous une vengeance particulière ? Il n’est question ni de Diane ni de Catherine, il ne s’agit que du bien de l’état. Oui, mais d’où vient la fortune de Mme de Valentinois ? Qui lui a donné ses terres, ses châteaux, son or, ses diamans ? La mesure adoptée, ce ne sera plus seulement Chenonceau qu’il faudra se résigner à perdre, ce sera le château d’Anet, ce sera le duché de Valentinois, et Diane ne pourra même pas se poser en victime d’une persécution particulière. Catherine se trouvera vengée comme par hasard,