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encore que coupable, les traits les plus satiriques, les moqueries les plus sanglantes, sont dirigés contre ces abrutis qui adorent des dieux qu’ils se fabriquent à eux-mêmes. Le rationalisme perce déjà dans la manière dont cette polémique acerbe est poussée. Prendre une bûche, se chauffer avec une moitié et de l’autre moitié tailler une statuette à qui l’on demande aide et protection, « comme s’il y avait de l’esprit dedans, » est-il rien de plus ridicule ? Les vaincus commencent donc à rire des vainqueurs, parce que, s’ils se sentent moins forts, ils s’estiment bien supérieurs par l’esprit. Voilà quelque chose de nouveau, et qui fera son chemin dans le monde.

Ce développement religieux a son contre-coup dans le progrès de l’idée morale. Il y a dans la prédication des prophètes une grande cause de monotonie tenant à leur idée fixe que tout malheur public ou privé est la punition d’une faute antérieure. A cet égard, ils sont complètement dominés par le vieux point de vue sémitique de la rétribution. Cependant sur ce point aussi une amélioration notable s’introduit dans leur notion des choses. Le livre de Job montre bien que l’homme le plus vertueux peut être aussi le plus éprouvé, mais il n’en sait pas encore donner d’autre raison que la volonté impénétrable de Dieu, tandis que c’est l’un des grands prophètes du temps de la captivité qui chante le premier, dans des vers d’une douceur et d’une résignation ineffables, l’auguste loi qui veut que le juste souffre au milieu des injustes, et achète au prix de ses souffrances le droit de leur faire du bien. C’est encore là un de ces sommets du prophétisme que dore déjà le soleil encore lointain de la vérité évangélique. Jésus a bien plus accompli les prophéties en reproduisant cet idéal du juste persécuté qu’en réalisant les prédictions spéciales des prophètes sur le messie qui devait venir.

Rien ne prouve mieux que ce chapitre du messianisme combien il faut se défier des idées vulgaires sur la valeur réelle du prophétisme hébreu. Assurément c’est bien lui qui a donné un corps à ces attentes d’un messie, d’un roi divin, à ces espérances nationales à la fois et religieuses qui, sous tant de formes, se sont fait jour au sein des religions sémitiques, et que nous retrouvons encore chez les Arabes de notre Algérie. Nous avons déjà montré à quelle notion de l’avenir elles se rattachent. A présent, la forme sous laquelle le peuple conçoit cet avenir de gloire dépend de l’idée qu’il se fait, de la vraie grandeur, et cette idée à son tour emprunte nécessairement ses principaux traits aux souvenirs les plus aimés du passé. De là vient que chez les Israélites, quand la royauté fut devenue une institution nationale (pour les prophètes, pendant longtemps elle ne fut guère autre chose qu’un mal nécessaire), quand la dynastie davidique fut devenue, la seule possible,