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II

Le prophétisme est donc une des formes naturelles du développement primitif de l’esprit humain. Son éclatante supériorité chez les Hébreux provient des principes de moralité et de spiritualité qui lui sont inoculés par une foi religieuse supérieure elle-même à l’ensemble des croyances antiques, et à cela s’ajoute enfin le caractère lyrique, pour ainsi dire, d’une race qui ne brille ni dans le drame ni dans l’épopée, mais chez qui les effusions du sentiment individuel sont prodigieusement énergiques et ardentes.

Pour bien étudier la nature particulière du prophétisme biblique, il faut remonter aux principes du monothéisme d’Israël. Chaque peuple sémitique croit à la supériorité des divinités qu’il adore, mais ne nie nullement pour cela l’existence des dieux reconnus dans les pays voisins. Le monothéisme hébreu à l’origine consiste non pas dans l’idée qu’il n’existe point d’autre dieu que Jéhovah, mais dans la conviction qu’Israël n’a, ne peut avoir, ne doit avoir que Jéhovah pour dieu, et qu’il est criminel à un Israélite d’en adorer un autre. A parler rigoureusement, c’est une monolâtrie plus encore qu’un monothéisme. Jéhovah est un dieu jaloux qui ne souffre pas d’autre dieu devant sa face. Ce monothéisme primordial, exclusif en principe, est une religion nationale dans toute la force du terme, et de son existence comme religion spéciale du peuple d’Israël découle une double conséquence : c’est d’abord que ce peuple adore le plus puissant des dieux, c’est ensuite qu’il a plu à ce dieu d’adopter ce peuple pour sien de préférence à tout autre, car il ne s’est fait connaître qu’à lui. C’est donc une grande prérogative dévolue aux fils de Jacob que d’avoir été élus pour être le peuple de Jéhovah. Cette élection leur assure l’incomparable protection de l’Éternel des armées et implique par conséquent une destinée plus glorieuse que celle qui est réservée aux autres nations. A quoi servirait autrement la préférence que Jéhovah leur a accordée ? À cette prérogative correspond une obligation imprescriptible, celle de n’adorer que le dieu jaloux et d’être rigoureusement fidèle à sa loi. Ce dieu en effet n’est pas un dieu-nature d’une moralité équivoque, il est par essence juste et saint, et l’impiété est aussi grande de violer ses lois morales que de lui refuser ses hommages. Donc Israël, s’il est fidèle à son dieu unique, peut compter sur le plus splendide avenir ; mais le malheur est que ce peuple se montre à chaque instant inférieur à son devoir. La foi exclusive en Jéhovah est rarement professée par la totalité de la nation. Les cultes idolâtriques et licencieux des peuples