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et par conséquent n’entendent rien à la question ; beaucoup enfin n’ont sur la matière aucun point de vue et s’en passent. Je sais qu’on peut se passer de cela et de beaucoup d’autres choses ; mais la vie réduite au strict nécessaire offre peu d’agrémens, et ressemble singulièrement à l’indigence. Il faut à tout prix que nous devenions familiers avec les résultats les mieux avérés de la critique moderne sur ces questions, plus abstruses en apparence qu’en réalité, et que nous ne commettions plus, quand nous parlons d’histoire et de doctrines religieuses, ces énormes hérésies scientifiques, qui tiennent à ce que nous ignorons trop souvent ce qui ailleurs traîne déjà dans les dictionnaires de conversation. Ne confondons pas toujours le domaine de la science et celui de la littérature. Cette confusion est cause de la rareté des œuvres françaises de haute érudition. Ceux qui savent écrivent peu, et voilà pourquoi il arrive à chaque instant que ceux qui écrivent ne savent guère. Il y a toute une œuvre de naturalisation à faire parmi nous à l’égard des grands travaux de la critique allemande et hollandaise, et peut-être le présent travail ajoutera-t-il un argument de plus à l’appui de cette assertion, dont l’évidence frappe déjà les esprits les plus éclairés[1].

Ce travail se divisera en deux parties. Une première étude sera consacrée à donner une idée générale du prophétisme et particulièrement du prophétisme hébreu, dont nous voudrions déterminer l’origine, la nature et le rôle historique. Nous obtiendrons par là une vue d’ensemble dont une étude suivante, consacrée spécialement à l’un des prophètes les plus célèbres de l’antiquité biblique, nous fournira à la fois l’application et la confirmation.

Tâchons en ce moment d’arriver à quelques principes et à quelques notions générales.


I

Il est un certain nombre de faits qu’il nous faut rappeler brièvement pour nous orienter dans la question d’origine. On remarque

  1. Nous nous servirons principalement dans cette étude de l’ouvrage consacré par M. le professeur Kuenen, de Leyde, à l’étude des livres de l’Ancien testament, et dont M. Renan a annoncé le premier volume en des termes que les lecteurs de la Revue se rappelleront bien. Cet ouvrage est aujourd’hui terminé, et nous avons l’espoir fondé que M. Pierson, le traducteur à qui notre pays est redevable de la translation en français du premier volume, achèvera son utile entreprise. C’est le second volume qui traite des livres prophétiques, tandis que le troisième et dernier a pour objet l’étude des livrée d’édification, tels que tes Psaumes, les Proverbes, Job, etc., qui forment cette classe à part connue sous le nom d’hagiographes. Cet ouvrage est sans contredit le plus impartial et le plus complet qui existe aujourd’hui sur ces matières.