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circonstances matérielles nous y aident sans cesse. Sur des instrumens divers, la même note a des phases d’intensité diverses ; elle éclate et meurt lentement sur un piano, elle s’enfle dans un instrument à vent ; sur le violon, surtout quand l’artiste est maladroit, une série de petites interruptions y ajoutent quelque chose de grinçant. Chaque instrument ou chaque voix suit de plus un rhythme particulier : les notes, ici rapides et voltigeantes, là sont lentes, solennelles ; les intervalles diffèrent aussi, tantôt les notes sautent, bondissent librement, tantôt elles montent et descendent avec lenteur. Enfin dans chaque instrument la production du son s’accompagne de petits bruits caractéristiques. L’archet du violon frotte, gratte, l’air siffle aux ouvertures des instrumens à vent ; le bruit sec des touches se mêle sur le piano aux vibrations des cordes. Notre sensibilité est habituée à toutes ces nuances, et ces circonstances expliquent pourquoi nous distinguons habituellement les sons, même à l’unisson ; mais qu’on fasse entendre à l’oreille la plus fine deux notes produites dans des conditions physiques absolument identiques, à l’octave par exemple l’une de l’autre, et l’oreille déroutée croira entendre seulement le son le plus grave, la note supérieure sera perdue, fondue dans la note inférieure[1]. L’oreille naturelle a peu d’aptitude à séparer des notes harmoniques ; aussi arrive-t-il constamment aux meilleurs musiciens de se tromper d’une octave. Le fameux violoniste Tartini[2], qui avait poussé très loin la théorie musicale, a surélevé d’une octave un grand nombre de tons qui naissent de la concurrence de deux sons.


II

De ce qui précède on peut conclure que le timbre musical résulte de la fusion de notes aiguës plus ou moins nombreuses, plus ou moins intenses, avec un son fondamental ; cette importante découverte donne le moyen de caractériser le rôle des divers instrumens de musique et d’en établir en quelque sorte la hiérarchie harmonique. Je commence par les instrumens dont la sonorité est non-seulement pauvre, mais encore enfermée dans de perpétuelles

  1. Helmholtz en a fait l’expérience en faisant vibrer l’air dans deux carafes à l’orifice desquelles aboutissaient des tuyaux de caoutchouc où un soufflet faisait passer de l’air. Quand la carafe accordée sur la note la plus grave entrait en vibration, elle faisait entendre une note étouffée dont le timbre rappelait le son de la diphthongue ou ; quand les deux carafes vibraient ensemble, on entendait toujours le son fondamental, seulement l’addition du deuxième son, qui était l’octave harmonique du premier, donnait au son total le timbre d’o.
  2. Traité de l’Harmonie, 1754.