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en 1856, dans le cabinet de M. Hoffmann, à Londres, une suite d’expériences. Ce n’était pas un corps colorant qu’il cherchait, c’était un substitut artificiel de la quinine. Déçu dans cette recherche, il imagina d’appliquer à l’aniline les agens oxidans qu’il employait et découvrit la matière colorante violette, la première que la houille ait fournie : le procédé était dès lors acquis, l’industrie des couleurs d’aniline fondée. Il en fut de même, à quelque temps de là, de la fuschine dans les mains de M. Hoffmann. Un jour que ce chimiste essayait l’action du bichlorure de carbone sur l’aniline, il obtint une matière rouge du plus bel effet. Cette matière, c’était la fuschine, dont l’emploi est devenu si général dans la teinture des fils et des tissus.

Ces couleurs tirées de la houille semblent se mesurer de l’œil à l’exposition, comme elles l’ont fait longtemps devant les tribunaux pour des atteintes portées aux brevets. Chaque pays a son lot, la Prusse comme l’Angleterre, l’Amérique comme la Russie. La mode s’en est mêlée ; on ne veut plus que de ces teintures, et on n’évalue pas à moins de 30 millions la somme annuelle que ce trafic représente. Il y a là des violets artificiels, des rouges de divers tons et des bleus provenant de quelques amalgames. Qu’on y ajoute le jaune foncé, plus récemment obtenu, le jaune serin de l’acide picrique, et l’on aura les élémens de cette nouvelle et brillante collection d’agens colorans. Méritent-ils toute la vogue dont ils jouissent, et n’y a-t-il pas quelques réserves à faire ? Il y en a et de très fondées, non pas sur les tons et les nuances, qui sont leur beau côté. La fuschine surtout renferme cette proportion de rouge et de violet qui distingue la rose, et aucun mélange de noir n’en vient ternir l’éclat ; mais, séduisantes à l’œil, ces couleurs manquent de fonds, elles ressortent mieux aux flambeaux qu’au jour, et l’effet dépend beaucoup de la manière dont elles sont éclairées, puis elles pèchent par la solidité, s’altèrent promptement et ne peuvent guère s’appliquer qu’aux étoffes dont la durée ne dépasse pas une saison. La mode qui les a apportées les emportera peut-être un jour, à moins qu’on ne parvienne à leur donner plus de fixité, ce qui se fait déjà. Cependant elles ne supplanteront jamais deux substances qui fournissent un rouge à peu près indestructible, la cochenille pour les tons fins, la garance pour les tons ordinaires. Voilà les vrais colorans pour les étoffes destinées à un long service, l’ameublement par exemple ou le vêtement ; dans les bons ateliers, la tradition en est maintenue. Les couleurs éphémères tirées, de la houille sont d’ailleurs dans les goûts du temps ; notre génération ne tient aux choses qu’en raison des apparences, et les délaisse aussi vite, qu’elle s’en est engouée.