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l’incinération des plantes marines dont ses plages sont couvertes, algues, varechs, fucus, goémons. L’opération se faisait en plein air, à feu nu, dans des fosses maintenues à une très haute température, et où les cendres de ces plantes chargées de principes alcalins se formaient en masses compactes par une sorte de vitrification. C’était ce qu’on nommait la soude naturelle ou barille, renfermant jusqu’à 40 pour 100 de carbonate de soude, et qui s’employait soit telle quelle, comme dans la savonnerie, soit après épuration, comme dans la cristallerie. Rien de plus élémentaire ; mais le produit était peu coûteux et d’un usage éprouvé : on ne lui aurait certes pas cherché un équivalent, si, par suite d’une rupture survenue avec l’Espagne, il n’eût tout à coup et complètement manqué. Que faire ? comment rendre l’activité à tant de fabriques à court de matières ? L’urgence était flagrante ; non-seulement il fallait inventer vite, mais rencontrer juste, Un homme obscur, Leblanc, eut cette inspiration de génie. Au lieu de demander l’alcali aux plantes saturées d’air salin, ce fut au sel marin qu’il le demanda d’une manière plus directe en le décomposant au moyen de l’acide sulfurique, et en obtenant ainsi un sulfate de soude qu’il convertissait en carbonate au moyen d’une addition de craie et de charbon. De là ce qu’on nomme la soude artificielle, qui a fait son chemin dans les arts, tandis que le nom de Leblanc tombait peu à peu dans l’oubli. Circonstance rare, ce procédé était d’une précision telle que depuis soixante-dix ans il n’a rien été changé ni aux dosages ni à l’amalgame des matières. La soude naturelle fut non-seulement désarçonnée au premier choc, mais mise hors de combat.

A trente ans de là, nouvelle épreuve. On a vu que le sel marin ne se décompose industriellement qu’au moyen de l’acide sulfurique ; or cet acide est le produit de la combustion du soufre dans des chambres de plomb. C’était là un autre vasselage ; après l’Espagne, il fallait compter avec le royaume des Deux-Siciles, où sont situées les grandes solfatares. Cette fois ce ne fut pas la guerre, ce fut la fantaisie d’un roi qui mit les industries européennes en péril. Vers 1836, les solfatares avaient été constituées en régie et de telle sorte que le prix du minerai tripla dans le cours de quelques années. Naturellement les gouvernemens intéressés s’en étaient émus ; il y avait eu des plaintes suivies de concessions, mais toute sécurité était désormais détruite ; il fallait aviser et chercher le soufre ailleurs que dans les gîtes où l’on avait à craindre de telles extorsions. Heureusement on était sur la voie ; l’usine de Fahlun en Suède, celles de Chessy et de Saint-Bel près de Lyon, avaient pris les de-vans. Dans ces deux dernières, une exploitation presque immémoriale portait sur le cuivre, et on les citait comme ayant beaucoup