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négocierait qu’à Djizak, premier endroit où il trouverait de l’eau. Il est vrai qu’arrivés à Djizak, les six escadrons de cavalerie du corps expéditionnaire manquèrent de fourrage ; il fallut donc opter promptement entre deux partis, celui d’enlever Djizak d’un coup de main et de marcher sur Samarkande, ou celui de battre en retraite. Le premier eût été un acte de folie, le second fut adopté ; le général Tchernaïef repassa le Syr. Ainsi se termina une expédition hardie, mais faite avec des moyens trop limités pour aboutir à autre chose qu’à un mouvement en arrière, et dont le motif stratégique par conséquent n’est pas bien clair pour nous. En face d’ennemis vantards et pleins d’exaltation factice comme les Boukhares et leur prince, les Russes ne devaient marcher en avant qu’à la condition de ne pas reculer. L’effet moral de cette campagne avortée fut très défavorable aux armes moscovites. Mozaffer, qui s’était montré hésitant et irrésolu lorsque les Russes étaient à trois étapes de Samarkande, reprit courage en les voyant battre en retraite, recommença activement ses préparatifs de guerre, et couvrit de ses guérillas les environs de Tachkend et même les routes de Tchemkent et de Turkestan.

Les Russes de leur côté ne restaient pas inactifs. Le général Romanovski, qui avait succédé à Tchernaïef, avait fait venir de l’Aral les steamers Perowski et Syr-Daria, qui remontèrent le Syr jusqu’à Tchinaz et repoussèrent à diverses reprises les guérillas embusquées sur les rives. Le 18 mai, on reçut à Tachkend l’avis que l’émir lui-même approchait avec une armée composée de cinq mille serbaz (soldats réguliers), tous ou presque tous tadjicks des villes, et un contingent mal armé de Kirghiz évalué à trente-cinq mille hommes. Romanovski n’hésita pas à marcher contre cette masse avec deux mille hommes, dont un quart de cosaques : des deux côtés, l’artillerie était égale comme nombre de pièces, une vingtaine pour chaque armée. Les Russes atteignirent le premier jour, par une chaleur étouffante, le village de Ravat, à 30 kilomètres de Tachkend et à cinq lieues seulement de la plaine d’Irdjar, où l’émir avait pris position.

Le 20 mai au matin, la cavalerie boukhare se montra en masses confuses en face des escadrons russes, et la bataille commença. Ce ne fut d’abord qu’une série d’escarmouches sans résultat appréciable. Vers midi, l’artillerie engagea le feu, et l’infanterie russe marcha droit sur le village d’Irdjar pendant que des masses de cavalerie ennemie la chargeaient de face et de flanc avec une grande impétuosité. Le mouvement de cette colonne, gêné d’ailleurs par la nécessité de défendre les bagages, fut si lent quelle n’arriva qu’à cinq heures en face de la position occupée par l’émir et son