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La Vue prise dans l’île de Capri par M. Hippolyte Lanoue n’est pas inférieure aux excellens tableaux qu’il avait exposés en 1865 et en 1866. La pureté de la ligne, la fermeté de la pâte, la solidité de la coloration, sont toujours aussi respectées. Heureux les artistes pour qui le succès est un encouragement au travail ! C’est presque un paysage historique, que M. Lanoue a fait là : il n’avait qu’à mettre quelques habits rouges au premier plan, quelques habits bleus au dernier, un peu de fumée entre eux, et il aurait représenté la prise de Capri par les Français. En effet, ce fut de ces hautes montagnes d’Anacapri, dont M. Lanoue a si bien traduit l’imposante solennité et qui forment le fond de son paysage, que les Français, conduits par le général Lamarque, se sont laissé glisser au mois d’octobre 1808 pour aller attaquer les Anglais, qui, sous les ordres d’Hudson Lowe, s’étaient réfugiés et fortifiés dans la petite ville de Capri, où verdoie ce palmier que l’artiste s’est plu à rendre dans sa position exacte. M. Lanoue a peint au premier plan un groupe d’oliviers qui est une excellente étude de ces arbres toujours en lutte contre le vent de la mer, auquel ils ne résistent que par un miracle sans cesse renouvelé de sève surabondante et de végétation tenace. La coloration est très limpide, et rend bien l’aspect de ces beaux pays aimés du soleil.


Telles sont les œuvres qui, dans le Salon de 1867, m’ont paru dignes d’être signalées aux lecteurs de la Revue ; elles tranchent par certaines qualités spéciales que j’ai essayé de faire ressortir sur l’ensemble terne et affaissé de l’exposition. Rien de considérable ne s’est produit, et, ainsi que nous le disions en commençant, la grande peinture a une tendance évidente à disparaître. Tout le talent de nos artistes s’est réfugié dans le genre et le paysage ; l’art abstrait s’en va, il est remplacé par l’art relatif, c’est-à-dire par celui qui a pour but de plaire, de trouver un débouché et de satisfaire les goûts de la foule. L’avenir seul pourra dire si ce changement a été heureux ; notre seule mission est de le constater en gémissant, car nous croyons qu’il est funeste. L’Europe artiste nous a envoyé ses œuvres, il est intéressant de les étudier et de dire quelle situation la France occupe encore dans le monde des arts ; c’est ce que je tenterai prochainement en parlant de la sculpture et de la peinture à l’Exposition universelle.


MAXIME DU CAMP.