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grattoir sur cette peinture pour l’amener à l’effet cherché ! À certaines places, la toile apparaît avec son grain régulier et semble de loin une ruine de ces ouvrages en brique que les Romains appelaient opus reticulatum. Le système de coloration est tout entier dans une dégradation de nuances qui, commençant au premier plan par des tons d’un vert presque noir, aboutit par couches successives et presque insensibles aux blancheurs neigeuses de la chaîne des Alpes. L’effet saisit au premier abord, j’en conviens, mais il faut s’en aller vite sur cette impression et ne pas la raisonner, car elle ne tarderait pas à s’évanouir. Ce tableau néanmoins est très curieux à étudier, il dénonce une habileté de main, une ténacité, dans l’emploi des procédés, une volonté de rendre une idée conçue, qui sont extraordinaires. Seulement on peut croire que l’effet obtenu eût été meilleur et plus durable, si les moyens mis en usage avaient été plus simples et plus naïfs.

M. Mac-Callum est, je crois, un nouveau-venu parmi nous ; son début est important, et ses tableaux, Chênes dans la forêt de Sherwood et Entrée de la forêt de Windsor (le livret a interposé les numéros), indiquent un artiste déjà maître de son talent. On reproche souvent aux paysagistes de faire des effets d’ombres chinoises ; M. Mac-Callum a procédé d’une façon diamétralement opposée, car dans sa Forêt de Windsor il a mis un paysage très clair sur un fond très sombre. Il a choisi un de ces momens si fréquens en Angleterre où les nuages chargés d’eau laissent glisser un rayon de soleil qui éclaire d’une lumière blafarde certaines parties de la nature, tandis que les autres restent dans l’ombre. Un ciel excessif veinent brumeux et tout à fait foncé, mais sur lequel se détache en tons plus accentués encore la lourde masse du château royal, sert de repoussoir à une lande jaunie, où s’élancent deux immenses chênes dépouillés qui sont, pour ainsi dire, l’avant-garde de la forêt qu’on aperçoit au loin. La tonalité générale est jaunâtre, enlevée sur un fond teinte neutre. C’est un aspect exceptionnel de la nature, mais il est d’une grande vérité et frappera tous ceux qui connaissent l’Angleterre. Les arbres sont exécutés en manière de trompe-l’œil, et je suis persuadé qu’ils ont été copiés d’après une épreuve photographique. Toutes les rugosités, les nodosités, les rides, les inflexions, les mousses parasites, les verrues, les soulèvemens d’écorce, sont rendus avec un précieux et un fini difficiles à concevoir. Ce tableau ressemble à une énorme agate arborisée. C’est un paysage traité comme Denner traitait les portraits. Le méticuleux dans l’art est-il bien utile ? On peut en douter ; mais on doit reconnaître qu’il faut déjà un grand talent et une science sérieuse pour arriver à un si étrange résultat.