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termes excellens. Auprès d’Hippolyte Flandrin, sous la forte direction du peintre de la Stratonice, il a appris à ne jamais rien laisser au hasard, à ne jamais se contenter de l’impression et à chercher toujours à rendre l’expression ; il a compris que la chasteté était la première condition du nu dans les arts ; il a dédaigné les petits moyens, les colorations tapageuses et faciles ; il a vu promptement que l’étude incessante de la ligne était indispensable à ceux qui veulent rendre les formes humaines ; il n’a jamais essayé de tromper le public par des succès de surprise, et, comme un vétéran des grandes batailles, il reste seul aujourd’hui pour affirmer par son talent quel admirable enseignement M. Ingres imposait à ses élèves. De toutes les nudités qui encombrent le Salon de 1867, la Psyché seule est une œuvre d’art dans toute l’acception du mot. Elle est couchée sur un lit de repos, la tête appuyée contre un bras relevé ; une ample chevelure blonde semée de perles mêle ses nuances très douces aux blancheurs de l’oreiller ; la jeune femme rêve, le visage tourné de profil, l’œil perdu dans une contemplation pleine de charmans souvenirs ; une légère draperie cache la partie inférieure de son corps et dégage un pied qui eût fait mourir Cendrillon de jalousie. Un rideau d’un rose-lilas constellé d’or complète l’harmonie générale, qui, malgré quelques nuances un peu étouffées, est d’un coloris très savant et très habile. La science de la coloration ne consiste pas dans la violence des tons, elle est uniquement dans leur valeur relative et dans leur rapport entre eux. Dans la Psyché, rien ne détonne, c’est une harmonie en sourdine d’un effet à la fois exquis et puissant. La ligne a cette pureté à laquelle M. Amaury Duval nous a accoutumés ; le modelé est très fort sans exagération. Je recommande surtout aux vrais amateurs de belle peinture la façon réellement magistrale dont le torse a été rendu. C’est d’une extrême sobriété, point d’empâtemens superflus, pas de brutalité dans la brosse, pas de luisans inutiles ; tout est calme, sincère, vivant. La gracilité des membres, la frêle délicatesse des attaches, la finesse de l’épiderme, les contours encore un peu indécis du visage, la jeunesse en un mot a été comprise et interprétée avec autant d’intelligence que de distinction. L’expression des traits et du regard a été intentionnellement idéalisée, car M. Amaury Duval sait aussi bien que personne que ψυχή veut dire âme.

M. Amaury Duval nous a souvent prouvé qu’il n’ignore point qu’un tableau exige différentes conditions qui, se complétant l’une l’autre, forment l’ensemble harmonieux auquel on reconnaît une œuvre d’art. L’ordonnance est aussi nécessaire que la composition, le dessin est indispensable comme la couleur, et le style doit s’appuyer sur la réalité (je ne dis pas le réalisme) ; il y a des peintres