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Dans toutes les branches de l’instruction élémentaire, où il convient d’agir sur la population même, j’aurais une grande foi, pour ma part, dans l’action de comités locaux, formés, suivant les circonstances, soit pour une seule commune soit pour un canton tout entier. Seulement il faudrait des comités libres, c’est-à-dire qui ne fussent point enchevêtrés dans l’ordre administratif. Ce serait aux comices agricoles que reviendrait tout naturellement la tâche d’en provoquer la création. Le malheur veut qu’on agisse toujours chez nous trop solennellement avec les simples. On se hausse sur ses talons ; on tient à paraître savant. Ce n’est pas pour son époque, c’est pour toutes que Montaigne disait : « C’est à mon gré bien faire le sot que de faire l’entendu entre ceulx qui ne le sont pas. » Lui qui se déclarait si complètement ignorant en agriculture, il semble qu’il songeait à l’enseignement agricole, à l’instruction des métayers de son propre pays, lorsqu’il ajoutait : « Il faut se desmettre au train de ceulx avecques qui vous estes, et par fois affecter l’ignorance ; mettez à part la force et la subtilité en l’usage commun, c’est assez d’y réserver l’ordre ; traisnez vous au demeurant à terre, s’ils veulent. » Les petits comités, que je propose pourraient s’inspirer de semblables conseils. L’instruction dont ils favoriseraient l’essor rendrait ensuite plus faciles les réformes qui, ne s’adressant plus à l’état même du cultivateur, touchent aux rapports du propriétaire et du tenancier, c’est-à-dire au métayage.

Personne n’avait mieux compris l’attitude à prendre envers les cultivateurs, surtout envers ceux du Périgord, qu’un illustre personnage de notre temps, né dans ce pays, et dont le nom revient tout naturellement à la mémoire quand on parle d’améliorations pour l’agriculture locale, — le maréchal Bugeaud. C’est de lui qu’on pouvait dire qu’il avait « une âme à divers étages » et qu’il pouvait « deviser avecques son voisin » de ses intérêts particuliers. De l’aveu de tous ceux qui l’ont vu de près soit en Algérie, soit dans le Périgord, le maréchal Bugeaud n’était complètement lui que dans les champs et dans les camps. Ailleurs il pouvait y avoir dans sa franchise militaire quelques accens un peu hasardés, qui devenaient parfois embarrassans pour lui-même et pour ses amis politiques. Parmi les paysans et les soldats rien de pareil : ses remarquables facultés s’épanouissaient tout naturellement au milieu d’eux. Si aucun chef de corps, depuis les guerres de république et de l’empire, n’a mieux su enlever ses troupes, aucun propriétaire périgourdin n’a mieux su se faire écouter du laboureur. Aussi son nom est-il resté partout sous le toit des métayers de la Dordogne comme il est partout dans les bivouacs d’Afrique. Cette influence du maréchal Bugeaud l’aurait puissamment aidé, s’il avait pu appartenir plus complètement et plus longtemps à la