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où la production demande le plus de main-d’œuvre. Le propriétaire qui veut cultiver lui-même sans être parti de la charrue n’est point aidé et servi comme un autre. Tout devient plus coûteux pour lui en même temps que s’accroissent les difficultés d’une surveillance efficace. Il est du reste certaines habitudes champêtres qu’on peut prendre avec une volonté résolue, il n’en est pas de même de toutes. Nous ne sommes plus au temps où le vieux Caton, quittant les plus grandes charges de la république, s’en allait aux champs travailler au milieu de ses esclaves. En règle générale, la culture directe est ruineuse. À Montaigne, le propriétaire avait d’abord voulu garder une réserve pour l’exploiter à son compte à titre d’essai ou de modèle. Le résultat fut des plus décourageans. Sur une étendue de terre où l’on semait seulement cinq sacs de blé quand il en fallait cent pour tout le domaine, il se trouva qu’en fin de compte on dépensait par an, loin de rien gagner, le tiers du produit de toutes les terres cultivées par les métayers, c’est-à-dire de 5,000 à 6,000 fr. sur 15,000 ou 16,000. Les faits analogues ne manquent pas dans l’histoire contemporaine de notre agriculture.

Supposons néanmoins un propriétaire passionné pour l’exploitation directe qui réussisse à se faire cultivateur, à devenir un bon et vrai fermier : tout n’est pas fini. Il manquerait encore dans son logis un auxiliaire presque introuvable dans l’hypothèse actuelle, je veux dire une fermière. S’il n’y a pas dans une ferme une maîtresse de maison ayant l’œil à tout, qui soit levée à six heures du matin en hiver et à quatre heures en été, les intérêts périclitent sur une vaste échelle, les charges intérieures s’accroissent rapidement, tandis que certaines catégories de produits, comme ceux de la basse-cour et une partie de ceux de l’étable, dont l’importance grandit sans cesse aujourd’hui, semblent fondre comme par enchantement.

De ce qu’il est ainsi démontré qu’une transformation radicale ne peut provenir ni de la culture directe ni du fermage, s’ensuit-il que le système régnant dans le Périgord et ailleurs soit fatalement condamné à une torpeur sans remède et sans lendemain ? L’hypothèse paraît choquante de prime abord. Non-seulement elle répugne au bon sens, elle est encore démentie par l’expérience. Point de parti-pris, point de solutions systématiques ; les circonstances sont trop variables pour comporter des formules absolues et inflexibles, voilà ce que nous crie le bon sens. Un fermier du Nord, de l’Eure ou de Seine-et-Oise ne peut pas plus être admis à lancer l’anathème contre le métayage qu’un métayer de la Dordogne, de la Corrèze ou de Tarn-et-Garonne contre le bail à ferme. L’un est infiniment plus avancé que l’autre, c’est incontestable ; raison de plus pour chercher à pousser en avant le plus attardé des