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témoignage de la probité des familles dont ils avaient pu observer de près les allures journalières ! Cette considération est par malheur aussi impuissante que l’est celle qu’on tire de la tacite reconduction : la simple possibilité de fraude n’en assiège pas moins l’esprit du propriétaire. De ce qu’on peut être trompé dans des détails difficiles à suivre, on agit comme si on devait l’être infailliblement. La tentation paraît si forte qu’elle semble toujours près de triompher des résolutions les plus robustes, et la défiance entretient de ces expédiens funestes, comme le bail annuel, dont il serait impossible autrement d’expliquer la longue existence.

Il y a dans la langue des métayers une locution naïve que nombre de propriétaires sont volontiers enclins à prendre au pied de la lettre. Quand arrive le moment de diviser les produits de la récolte, le métayer ne dit pas au maître : « Fixez le jour où nous ferons nos parts, » mais bien « où nous partagerons votre part. » Croire sa part incessamment menacée, tel est le tourment du propriétaire. Or la faculté d’une éviction à bref délai tend à le rassurer en même temps qu’elle inspire au métayer une certaine frayeur : mauvais calcul qui ne saurait prévaloir longtemps contre les nécessités d’une réforme ! Que la crainte, que le danger éveillent la vigilance, à la bonne heure ; on n’a point d’objection contre une surveillance attentive, réfléchie, constante, pourvu qu’elle sache éviter d’être tracassière ou blessante. On n’est sûr de rien qu’à ce prix-là ; dans toute association, c’est une garantie pour la régularité des comptes. Certes il ne faudrait pas prendre par son mauvais côté la maxime bien connue du bonhomme Richard : « dans les affaires de ce monde, ce n’est pas par la foi qu’on se sauve, c’est en n’en ayant point. » La défiance qui empêcherait de croire à l’honnêteté d’autrui serait un tourment insupportable à certains caractères. Dans l’espèce, elle aurait pour effet immanquable d’enlever toute spontanéité aux mouvemens du métayer et de faire de lui un instrument purement passif. Rien de plus légitime cependant que le soin de ses propres intérêts. La question n’est donc plus qu’une question de conduite nécessairement subordonnée aux circonstances. Si l’on a pu soutenir par des exemples fort plausibles que le métayage est, entre les modes d’exploitation agricole, celui qui procure le plus de revenus au propriétaire, c’est évidemment dans l’hypothèse que ce dernier saura prévenir toutes réductions arbitraires et illégitimes sur la part qui lui revient. Convenons pourtant que celle du métayer n’est pas moins sacrée que l’autre. Des empiétemens indirects qui rompraient l’équilibre résultant pour l’un et l’autre associé de sa mise respective dans l’association seraient aussi répréhensibles en bonne morale qu’en bonne économie politique. Voilà dans quel esprit on doit rechercher les moyens de reconstituer le