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survivre à sa dernière défaite[1]. Une fois à La Mothe, on n’a plus à parcourir, pour atteindre le but, que deux ou trois kilomètres le long de collines très fertiles, quoique fortement accidentées.

Bien que placé au faîte de ces coteaux, mais en partie voilé par une épaisse futaie de vieux chênes, le château ne laisse apercevoir au visiteur : arrivant par cette route que ses tourelles élevées, et seulement encore à partir du village de Saint-Michel-Montaigne[2], qui confine à la propriété. Une courte avenue d’acacias et de platanes conduit à la principale entrée, dont la physionomie n’a pas changé depuis le XVIe siècle. On reconnaît bien, en la voyant se replier tortueusement sur elle-même, qu’elle date d’une époque où les habitations isolées n’étaient pas sûres, et où, sans avoir la prétention, comme le déclare quelque part Montaigne, de se défendre contre les gens de guerre, on pouvait du moins songer à se mettre à l’abri des vagabonds et des rôdeurs, et à se prémunir contre un coup de main.

Le passage une fois franchi, on pénètre dans une très vaste cour carrée, fermée de trois côtés par les dépendances de l’habitation, et dont le château occupe le quatrième côté, le plus reculé vers l’ouest de cette cour, point de perspective, et on se demanderait volontiers à quoi bon « une maison juchée sur un tertre, comme dict son nom, » si l’horizon y est ainsi borné de toutes parts ; il n’en est rien cependant l’autre façade du château donne sur une terrasse splendide, d’où l’œil peut embrasser une immense étendue de pays. Des hauteurs pittoresques couronnées de villages, de clochers, de vieux castels, les uns en ruine, les autres encore habités, de maisons de campagne toutes modernes, se dessinent devant vous dans le lointain sur un large demi-cercle. Plus près, sur la crête d’une éminence abrupte, se dresse une tour délabrée d’une apparence encore altière, dernier débris du magnifique château de Gurson, qu’habitait au temps de Montaigne cette Diane de Foix, comtesse de Gurson, à qui est dédié le beau chapitre de l’institution des enfans, où l’auteur d’Emile a dû puiser plus d’une heureuse inspiration. Immédiatement au-dessous de soi, une plaine vers laquelle on descend par une pente très raide, et que parsèment les maisons des métayers, étale aux regards comme un vaste jardin anglais qui s’est formé tout seul à des époques inconnues, et où les perspectives semblent avoir été ménagées avec goût par

  1. Il a été question dans ces derniers temps d’élever une chapelle commémorative sur le tumulus de Talbot.
  2. C’est le nom de la commune où le château est situé. — Une église romane, un presbytère, une maison d’école, un inévitable cabaret, et depuis quelques mois une boulangerie, voilà tout le village.