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la société, c’est plutôt la société qui a fait l’empire. Loin d’être l’unique auteur de cet affaiblissement des caractères, Auguste a fini par s’en effrayer. Il est arrivé que cette lâcheté générale, cet oubli de sa dignité, cet abandon de soi-même, qui rendaient son autorité plus solide, lui ont fait peur. Certes il n’aimait pas les ambitieux, mais il comprit que l’empire était perdu, si tout le monde fuyait les emplois publics, et il prit des mesures pour empêcher cette désertion. Sans doute il ne lui était pas désagréable qu’on eût le goût du plaisir : le pouvoir absolu y trouve toujours son compte ; mais il s’aperçut à la fin qu’un pays dont le plaisir est la plus importante affaire ne fournit plus de citoyens ni de soldats. Après la défaite de Varus, quand il essaya de lever une armée nouvelle, personne ne voulut partir, et il fallut enrôler des vétérans et des affranchis. Ce qui est vrai, c’est qu’Auguste n’a pas rendu à cette société l’énergie qu’elle avait perdue. Il n’avait pour la guérir que des remèdes insignifians à lui donner. Le seul qui pouvait être efficace était de lui rendre la direction d’elle-même : c’était le seul aussi qu’il ne pouvait pas employer. Ses essais pour la réformer restèrent donc impuissans, et même, comme il la traita avec douceur, il lui fut moins utile que les méchans princes qui le suivirent. Un despotisme cruel vaut mieux quelquefois qu’un despotisme humain et modéré. La prospérité affaiblit les âmes, l’excès de la souffrance les retrempe, et l’on peut dire qu’en somme, pour rendre quelque vigueur aux caractères, Tibère et Néron ont plus fait qu’Auguste.

Ainsi Auguste n’était pas entièrement satisfait de son époque, quoiqu’il eût fort à s’en louer. C’était un premier dissentiment avec Ovide, qui ne cesse d’en faire l’éloge. Il s’éloignait encore plus de lui par la façon dont il prétendait la guérir. Il voulait ranimer dans ce siècle corrompu le goût des vertus antiques. Il y avait peut-être quelques dangers pour son pouvoir à trop rappeler les grands souvenirs du passé ; il jugea qu’il y en aurait plus encore à les laisser perdre. Sur ce point, il changea complètement de politique en quelques années. Il avait commencé par chasser de leur pays les habitans de Nursium parce qu’ils avaient écrit sur le tombeau des soldats de Modène qu’ils étaient morts pour la liberté ; il finit par dresser sous les portiques de son forum l’image des héros de la république et par féliciter les Milanais d’avoir conservé les statues de Brutus. Quand il parlait au sénat et au peuple, il avait toujours à la bouche les exemples des aïeux. Pour engager les gens à se marier ou à modérer leurs dépenses, il faisait lire en Public le discours de Metellus sur la nécessité de propager l’espèce (de prole augenda), ou celui de Rutilius sur la mesure qu’il faut garder dans les bâtisses (de modo aedificiorum). Il voulait faire