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I.

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu quelqu’un d’aussi heureux qu’Ovide jusqu’à son exil. Pendant cinquante ans, la vie lui fut bien plus douce qu’elle n’a coutume de l’être aux poètes. Horace et Virgile, ses grands prédécesseurs, n’ont pas eu une destinée aussi égale ni peut-être des succès aussi incontestés. Il ne fut pas obligé, comme eux, de lutter contre des nécessités fâcheuses ; il était de ceux qui grâce à leur naissance et à leur fortune trouvent leur place faite dans le monde dès qu’ils y arrivent. Sa famille portait un nom honorable et occupait un rang distingué ; son père avait de l’aisance et tenait beaucoup à la conserver. Il s’est plaint, quand il était jeune, de cette qualité paternelle qui restreignait ses libéralités, mais il en a profité plus tard. Lui-même, parmi toutes ses folies, ne fut jamais un dissipateur. Nous savons qu’il payait plus volontiers ses amours en beaux vers qu’en argent comptant ; aussi n’eut-il pas besoin, comme la plupart de ses confrères, de se mettre à la solde d’un protecteur. Sa renommée commença dès ses premières années. Il fut un écolier célèbre, et le souvenir de ses improvisations pathétiques se conserva longtemps chez les rhéteurs. À vingt ans, il lisait ses vers devant des réunions nombreuses. Horace et Tibulle, Virgile et Properce existaient encore ; Rome, dont l’attention était occupée par ces grands génies, avait le droit d’être distraite ou indifférente pour les autres ; cependant elle prêta l’oreille aux débuts de ce jeune homme, et depuis ce moment elle ne cessa plus de l’applaudir. « J’ai eu cette fortune, nous dit-il, d’obtenir de mon vivant toute la gloire qu’on n’accorde qu’aux morts ».

    faites cette année à la Bibliothèque Impériale. Ce livre parle des événemens dont il est question aussi dans l’étude qu’on va lire. Je suis très heureux d’y renvoyer le lecteur qui voudrait achever de les bien connaître. Il s’apercevra cependant d’une certaine différence dans les jugemens portés sur les hommes et sur les choses. M. Beulé est très sévère pour Auguste ; il ne lui accorde guère que d’avoir été heureux. Il ne veut pas reconnaître le mérite de ses réformes administratives, parce qu’elles n’ont pas mis l’empire à l’abri des révolutions intérieures ; je crois au contraire que si, malgré tant de révolutions, l’empire a duré trois siècles, il le doit au génie d’Auguste et à l’organisation vigoureuse qu’il en avait reçue. Il m’est bien difficile aussi de souscrire au jugement rigoureux porté par M. Beulé sur la littérature romaine ; il ne me persuadera pas que la lecture de Tite-Live ou de Virgile amollisse les âmes, et que la morale des épîtres d’Horace, quand on l’étudie à fond, soit inférieure à aucune autre. Du reste, ces réserves que je suis forcé de faire ne sont pas de celles qui nuisent au succès d’un ouvrage ; celui de M. Boulé est écrit avec passion : c’est un danger pour l’historien, mais un mérite pour le littérateur. Je ne crois pas que M. Beulé persuade les gens qui sont d’une opinion contraire à la sienne, mais il entraînera ceux qui ont les mêmes sentimens, et l’on peut prédire, sans se compromettre, que le livre sera accueilli comme l’ont été les leçons.