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rurale. Est-ce tout ? Non, il faut ajouter à ce nombre effrayant d’eunuques volontaires, selon le mot d’un père de l’église, les jeunes prêtres soldés par les fabriques, et, sans compter les diacres et les sous-diacres, déjà liés par le vœu de virginité, nous aurons une armée de 204,477 individus des deux sexes[1] prêchant d’exemple, et pour se recruter prêchant aussi de paroles la tranquillité, la douceur, la grandeur du célibat et la supériorité de ce genre de vie sur la vie de famille. Ne serait-il pas temps de mettre quelque obstacle à ce fourmillement de moines et de communautés ? Les moines des deux sexes ne se multiplient qu’avec les biens de main morte, parce que c’est la main morte qui les fait vivre et prospérer. Or la loi donne au gouvernement tous les moyens nécessaires pour enrayer ce mouvement aussi fatal aux intérêts économiques du pays qu’au progrès numérique de la population. Qu’il refuse désormais d’autoriser les corporations nouvelles, dont l’utilité n’est pas toujours clairement démontrée, et qu’il veille plus sévèrement que jamais à l’exécution des lois sur les donations et fidéi-commis. Il y aurait sans doute bien d’autres choses à dire sur ce point ; mais la question est trop vaste pour être traitée incidemment. C’est assez que nous ayons montré que le célibat ecclésiastique peut, en se propageant, devenir en France ce qu’il a été jadis en Espagne, une cause active de dépopulation, qu’il exerce déjà dans une mesure quelconque ce genre d’influence, et que le gouvernement, qui en a peut-être un peu trop encouragé la propagation, a maintenant pour devoir de l’arrêter.

A l’égard de l’armée, le législateur est tout puissant. Ici le célibat n’est pas volontaire ; c’est la loi civile qui, depuis près de quarante ans, crée annuellement, de sa pleine autorité, une moyenne de 80,000 célibataires pm parmi la fleur de la jeunesse, et pendant sept années, les plus belles de la vie, les retient a la caserne comme dans un couvent. Nous recherchons la cause de la diminution du nombre des naissances ; elle est principalement là, non plus visible, mais beaucoup plus efficace encore que dans l’institution monastique. Si l’enthousiasme religieux soustrait pour jamais aux fonctions de la maternité beaucoup de jeunes filles qui fussent devenues l’exemple et l’honneur de la famille, si une vocation plus ou moins éclairée, plus ou moins désintéressée, appelle au célibat tant de mâles jeunes gens, le nombre annuel des ces déserteurs volontaires de la vie civile est après tout bien petit, si on le compare aux formidables contingens annuels de notre armée. La proportion

  1. C’est le recensement de 1861 qui nous fournit ce chiffre.