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sur la scène de Roméo plus accompli. Voix inégale, bien que formée au grand style et capable de puissans effets, la cantatrice laissait à désirer ; mais, comme physionomie du personnage, c’était admirable. Élévation et sveltesse de la taille, traits charmans, de la dignité dans la grâce, de la virilité dans l’adolescence, et avec cela de l’émotion, du sentiment, l’art et l’autorité d’une tragédienne ! Je sais l’objection musicale et je l’approuve : trop de voix blanches ; il faut que dans un opéra la voix de ténor résonne au premier rang. Toutefois, sans marchander aux timbres les privilèges qui leur sont dus, nous entendons qu’il soit permis de réclamer en faveur de l’illusion théâtrale. Or, je le demande, est-il possible de se figurer un seul moment, un seul Roméo sous l’apparence de M. Michot ? Sa voix même, à laquelle on a si fâcheusement sacrifié, cette voix a des inégalités, des brusqueries qui vous offensent ; c’est une voix de mauvais ton, et je n’en veux pour preuve que sa manière d’aborder Juliette dans le joli duo du premier acte. Quant à Mme Carvalho, passe encore pour Marguerite, quoique ce fût déjà bien se risquer ; mais Juliette ! « Dans cette famille, écrivait Mme de Sévigné, à la troisième génération, on gaulera des fraises. » Juliette a quatorze ans[1] ; pour peu que M. Gounod continue à suivre cette loi de décroissance dans les rôles qu’il destine à sa virtuose, où cela nous mènera-t-il ? Si l’effet musical peut avoir à tirer quelque profit de ces sortes de distributions anormales, il n’en est pas moins vrai que le drame y perd tout son intérêt, et je parle ici non-seulement de l’illusion physique absente, mais de la vérité d’expression à laquelle il vous faut, bon gré, mal gré, renoncer ; Dans l’exécution de l’ouvrage de M. Gounod, Mme Miolan ne se contente pas d’être une cantatrice remarquable, elle rencontre à certains endroits l’accent de la passion. Malheureusement cette passion-là n’est point d’une Juliette. Même au sortir du lit nuptial, la jeune amante de Roméo doit ignorer cette furie, ces impétueux élancemens. Ce n’est plus la scène du balcon, ce n’est plus Juliette, naïve jusque dans son désordre ; c’est Valentine éperdue d’épouvante et de volupté retenant Raoul dans ses bras.

Du reste, ces deux héroïques figures de Meyerbeer, nous les avions aperçues déjà au premier tableau du troisième acte, s’agenouillant devant Marcel travesti pour la circonstance en frère Laurent. O Shakspeare ! et c’est ainsi que chez nous aujourd’hui la musique interprète vos œuvres ! A quoi donc ont servi les vingt

  1. Musset, que nous citions plus haut, dit quinze ans pour les besoins de son vers, mais Juliette n’en a que quatorze et point sonnés encore :
    Or Lammas-eve at night shall she be fourteen.
    (Act Ier, scène III.)