Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux amans furent scellés. Près de là s’élevait le cloître du bon frère Laurent, que la chronique nomme Leonardo. Il fut un temps où ce cercueil de marbre servait de baquet aux lavandières et d’abreuvoir aux animaux. Hélas ! qu’est-ce que de nous et de la poésie ? que deviennent les choses ? La villa de Mécène avec ses cascatelles est une fonderie, le Styx fait tourner des moulins, on pêche des huîtres grasses dans l’Averne, le Forum de Rome est un champ aux vaches, et le cercueil de Juliette une auge à pourceaux ! Cependant l’horrible profanation eut son terme, la pieuse relique fut rendue au culte des touristes, et, le croira-t-on ? celle qui remit en honneur ce poétique souvenir s’appelait Marie-Louise, la veuve inconsolable de Napoléon, la sentimentale Juliette du Roméo corse !

N’importe, ici les curiosités n’ont que faire. Il suffit de poser le pied sur ce sol de Vérone pour se sentir à l’instant en plein théâtre de la plus romantique des histoires que le génie d’un poète ait immortalisées. Vérone tout entière, avec son architecture moyen âge, ses palais silencieux, ses églises de marbre, ses magnifiques ponts, ses tours superbes, ses jardins en terrasse, ses cimetières, ses vieux débris d’antiquités romaines, — la romantique Vérone se montre à vous comme le cadre naturel, indispensable du poème de Shakspeare, et les âmes de Roméo et de Juliette, partout ailleurs absentes, répondront éternellement à qui saura les évoquer dans ce petit coin de terre de Santa-Maria-l’antica, où, non loin des splendides tombeaux des héros de sa race, reposent les ossemens de l’excellent prince qui, rappelant à la concorde tant de pères et de chefs de famille désolés par ces sanglantes funérailles, s’écrie en joignant leurs mains au-dessus des cadavres des deux innocentes victimes :


« Le jour d’aujourd’hui apporte un sombre apaisement ; le soleil se voile de douleur ; allez et vous entretenez de ces tristes choses. Il y en aura de pardonnes, d’autres qui seront punis, car onc ne fût plus lamentable histoire que celle de Juliette et de son Roméo[1] ! »


A Londres, Shakspeare ne cessa point de vivre en communication avec les esprits les plus cultivés de son temps ; histoire, poésie, critique littéraire, philosophique et théologique, il lisait tout ; les

  1. A glooming peace this morning with it brings ;
    The sun, for sorrow, will not show his head :
    Go hence, to have more talk oh there sad things ;
    Some shall be pardon’d, and some punished !
    For never was a story of more woe
    Than this of Juliet and his Romeo.
    (Roméo et Juliette, scène dernière.)