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au matin Diane en personne la recevait, invitant la vierge-reine à chasser dans cette forêt de Windsor ou pour sa chasteté nul Actéon n’était à craindre. « Une étoile dansait au ciel quand elle vint au monde ! » Pas un gala de cour, un drawing room où l’allégorie ne serve à la glorification de la gracieuse et docte souveraine. Ce commerce avec les dieux, les nymphes et les satyres de l’antiquité s’était peu à peu, d’en haut, répandu dans le peuple, et s’y mêlait avec la croyance aux fées, aux elfes, aux géans, aux kobolds, aux fantômes, devins, sorciers et nécromanciens. Instant d’arrêt pour les sciences et la poésie au lendemain des plus terribles guerres qui aient ensanglante le vieux sol anglais ! Le siècle finissait à peine de ces combats à outrance, de ces furieuses luttes dynastiques dont les horreurs chevaleresques semblent encore accroître la profondeur de la scène. Quels temps furent jamais plus favorables pour l’avènement d’un grand poète ? Le présent, l’avenir, lui soufflent au visage leurs fraîcheurs matinales : liberté de conscience, libre examen ! Le soleil du passé, qui se couche derrière lui, laisse en se retirant dans son âme comme un dernier reflet des épouvantes, des traditions et des superstitions du moyen âge, et comme celui que l’esprit de Dieu porte au-dessus des flots, l’orgueil de tout un peuple, l’orgueil de la grande nation britannique le soutient !

Shakspeare n’a qu’à se laisser faire, qu’il soit ce qu’il voudra, profond ou jovial, grave ou léger, mélancolique ou bouffon, terrible ou fantasque, la sympathie, les applaudissemens de son temps ne lui manqueront pas. Entre ce poète si bien venu à son heure et l’Angleterre, l’accord règne d’avance, accord intellectuel, moral, préparé par l’éducation, commandé par l’instinct de race. « Shakspeare, dit Gervinus, c’est la race saxonne ; » mieux vaudrait dire : « Shakspeare, c’est l’Angleterre ; » car ces œuvres impérissables que l’esprit humain revendique aujourd’hui comme sa propriété furent bien le produit d’un moment et d’un pays, et c’est avant tout à son temps que s’adresse le génie de Shakspeare. Il fait ce qu’il veut ; je le répète, son art est un miroir où la nature et le monde se reflètent, il reproduit ce qu’il voit, et comme il ne voit que la nature, n’entend que le vrai, il se trouve avoir écrit pour tous les temps. Chercher la vérité fut son génie, mais la rendre avec cette exactitude, cette précision, fut son art, sa science. Assez parler d’instinct, de divination ! Shakspeare savait. Avant d’avoir encore quitté Stratford, il lisait Plaute. Son premier essai dramatique, les Méprises, est une imitation libre des Menechmes, dont le texte latin ne fut traduit en anglais que quatre ans plus tard.

On voit par ses œuvres mêmes qu’il puisait aux sources originales ; il était assez familier avec le français et l’italien pour aller y prendre