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qualité de vice-roi, mais en réalité avec toutes les prérogatives de l’autorité royale, l’état fertile et populeux du Djebel-Shomer. D’après le témoignage de M. Palgrave, ce serait un souverain modèle, intelligent, éclairé, habile, vivant en paix avec le Nedjed et avec Constantinople, redouté des Bédouins du désert, qu’il a guéris, ou à peu près, de la maladie du pillage, et s’appliquant à développer le commerce par la sécurité qu’il offre aux caravanes de la Syrie et de la Perse.

Voilà donc au centre de l’Arabie un peuple qui vit d’une façon régulière, gouverné d’une main ferme, tout prêt à recevoir les bienfaits de la civilisatton sous un prince encore jeune, qui est digne de continuer l’œuvre de son père et de consolider la nouvelle dynastie. Combien de temps durera cette heureuse fortune ? Peut-être à l’heure qu’il est, le sage Telal a-t-il disparu de la scène du monde. Nos journaux n’ont point de correspondant à Hayel, et le télégraphe se soucie peu de nous informer des événemens d’Arabie. Quoi qu’il en soit, il n’est pas indifférent de montrer que la condition des peuples est soumise en Arabie aux mêmes lois, aux mêmes caprices que dans les autres pays. Le désordre et l’anarchie n’y sont point endémiques, comme on le pense généralement. Ce pays n’est point seulement peuplé de tribus nomades, promenant leurs chameaux et leurs troupeaux d’oasis en oasis à travers le désert, et vivant de la vie sauvage, que les poètes complaisans appellent la vie patriarcale, On y rencontre des centres de culture et de commerce, des élémens de civilisation, une hiérarchie sociale, la lutte tour à tour féconde et énervante des passions humaines, des soldats heureux qui se font rois et des fragmens de peuples qui se soumettent sans murmurer à la discipline d’un pouvoir tutélaire. Nous ignorons tout cela, parce que, ne pouvant rien voir à travers les sables qui enserrent la péninsule, nous trouvons plus commode de supposer le néant. Il faut dire aussi que l’Arabie ne se prête point facilement à la découverte. Elle ne permet pas que l’Europe vienne regarder chez elle ; même devant Telal, prince éclairé et libéral, mais obligé de subir les préjugés de sa race, M. Palgrave hésita longtemps à avouer qu’il était Européen ; il ne l’osa qu’à la dernière extrémité, et en réponse il reçut l’avis de garder le plus profond secret et le conseil de partir au plus vite, ce qu’il fît à la fin de septembre, après deux mois de résidence à Hayel.

Ces deux mois furent employés par M. Palgrave, assisté de son compagnon, à donner des consultations médicales. Accueilli comme il l’avait été par Telal, il était en réalité le médecin de la cour, et ce haut patronage lui procura pour cliens les princes, les ministres, les riches marchands, qui venaient, malades ou non, rendre visite au savant étranger et s’entretenir avec lui des nouvelles de la ville,