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Malheureusement, pour faire du café arabe, il faut avoir du café qui vienne d’Arabie. Cet axiome, imité des plus vulgaires manuels qui traitent de la gastronomie, est incontestable. Or, s’il faut en croire M. Palgrave, qui est décidément un terrible destructeur d’illusions, le véritable café arabe, le café de l’Yemen, que nous appelons le café Moka, n’arrive point jusqu’à nous. Sur la route, les balles sont examinées grain à grain, et l’on en retire tout ce qu’elles renferment de fèves à demi transparentes et d’un brun verdâtre, les seules qui soient véritablement bonnes, de telle sorte que nous ne recevons en Europe que le résidu de ce triage, et que l’Arabie, l’Égypte et la Syrie s’arrangent pour garder les bonnes fèves. Il est presque cruel de nous donner avec tant de détails les recettes pour griller et cuire le bon café, et de nous déclarer en fin de compte que ce café ne sera jamais pour nous. S’il importe de mettre les gourmets en garde contre les trahisons mercantiles, on peut espérer que les relations plus directes qui s’établiront avec les ports de la Mer-Rouge après le percement de l’isthme de Suez faciliteront les arrivages du pur café de l’Yemen.

Quelque intéressante que fût l’oasis de Djouf, M. Palgrave, après quelques jours de repos, n’aspirait plus qu’à en sortir pour continuer sa route dans la direction du sud-est, vers Hayel, capitale du Djebel-Shomer et résidence du souverain Telal. Il y avait encore un long désert à traverser, et, comme l’on était dans la saison des fortes chaleurs, les caravanes se reposaient. Le hasard vint en aide aux voyageurs. Les députés d’une tribu récemment soumise s’étant arrêtés à Djouf en se rendant à Hayel, où ils allaient prêter entre les mains du roi leur serment d’allégeance, M. Palgrave obtint de se joindre à eux et put faire ses préparatifs de départ. Il loua deux chameaux pour 20 francs, il s’assura d’un guide, et le gouverneur lui remit un certificat de bonne vie et mœurs constatant que les deux étrangers avaient payé le droit d’entrée exigible à la frontière, soit 5 francs par personne. Les transports et les passe ports ne sont pas ruineux en Arabie.

Nous n’avons plus à décrire les tristes péripéties d’un voyage en plein désert. Pendant sept mortels jours, M. Palgrave eut à affronter de nouveau le soleil et les sables, et à vivre en compagnie des Bédouins et des chameaux, sur lesquels il nous a déjà fait connaître son opinion. Plus d’une fois, il le sut plus tard, ses compagnons, les députés de la docile tribu du Sherarah, eurent la pensée de lui faire un mauvais parti, de le laisser en route et de s’approprier les ballots de marchandises qui représentaient à leurs yeux toute une fortune. La crainte de Telal les retint, et la caravane arriva complète à Hayel, où, après avoir traversé une rue populeuse, elle s’arrêta sur une grande place devant le palais du souverain. Chacun se