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préparation du café arabe. La matière est trop importante pour que nous ne citions pas textuellement. « L’esclave allume le charbon, met auprès du feu une cafetière remplie aux trois quarts d’une eau limpide ; puis il tire d’une niche pratiquée dans le mur un vieux sac où il prend trois ou quatre poignées de café qu’il épluche soigneusement, après quoi il verse les fèves dégagées ainsi de toute substance étrangère dans une large cuiller de métal ; il les expose à la chaleur du fourneau, en les agitant doucement, jusqu’à ce qu’elles rougissent, craquent et fument un peu, mais il se garde de les faire brûler et noircir comme on le fait en Europe. Il les laisse ensuite refroidir un moment, place la cafetière sur l’ouverture du foyer, et, pendant que l’eau, déjà très chaude, arrive au degré d’ébullition convenable, il jette le café dans un grand mortier de pierre percé d’un trou juste assez large pour donner passage au pilon. En quelques minutes, les fèves sont broyées et prennent l’apparence d’un grès rougeâtre, bien différent de la poussière charbonneuse qui passe chez nous pour du café et dans laquelle il ne reste plus ni arôme ni saveur. Après toutes ces opérations, accomplies avec autant d’attention et de gravité que si le salut de l’Arabie entière en dépendait, l’esclave prend une seconde cafetière, l’emplit à moitié d’eau bouillante, et pose le tout sur le feu en ayant soin d’agiter de temps en temps le liquide pour empêcher que l’ébullition le fasse répandre. Il pèle aussi un peu de safran ou bien quelques graines aromatiques ; l’usage de ces épices pour ajouter à la saveur du café est regardé dans la péninsule comme indispensable. Quant au sucre, c’est une profanation tout à fait inconnue en Orient. L’esclave passe la liqueur à travers un filtre d’écorce de palmier, et dispose enfin les tasses sur un plateau formé d’herbes délicatement tissées et nuancées de vives couleurs. Tous ces préliminaires durent environ une demi-heure. » Quand le café est fait, l’esclave boit la première tasse pour montrer, selon l’expression arabe, que « la mort n’est point cachée dans le vase, » touchante précaution dont l’origine remonte sans doute aux temps de la féodalité, alors que les seigneurs ne se faisaient pas scrupule de glisser le poison dans la liqueur hospitalière. Puis, les assistans sont servis à la ronde. Il est d’usage et de politesse de ne remplir qu’à moitié les tasses qui sont grandes au plus comme une coquille d’œuf. Après un court intervalle, on recommence la distribution, et la visite est finie. Ce que l’on prend de café dans chaque visite ne représente qu’une dose infiniment petite ; mais, d’après le témoignage de M. Palgrave, la liqueur ainsi préparée est à la fois très aromatique et très rafraîchissante, et elle ne ressemble en rien ni à la boue noire qui s’appelle le café turc, ni « au bouillon de fèves brûlées » que nous dégustons en Europe.