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modeste appareil qui suffisait d’ailleurs pour un voyage en plein désert.

Rien de plus monotone ni de plus triste que le désert. Il y a bien certains touristes qui, après avoir essayé quelques enjambées sur le sable, avec l’oasis au prochain horizon, se sont avisés de le poétiser ; mais il ne faut pas se fier à ces témoignages complaisans et suspects. Je compte dans mes souvenirs de voyage une journée de désert entre Suez et le Caire. En ce temps-là, on faisait le trajet dans une voiture de poste attelée de quatre chevaux. Rude journée ! quel soleil et quelle poussière ! Les postillons nous dirent que nous avions subi une bourrasque de khamsin, variété du simoun. Nous étions brisés de fatigue, aveuglés malgré nos voiles verts ; mais une fois reposés nous considérions presque comme une bonne fortune d’avoir eu notre petite aventure de khamsin. Je vois bien, hélas ! après avoir lu le simoun de M. Palgrave, que le désert nous avait été très anodin, que nous n’avions pas couru le moindre péril, et qu’il faut détacher de notre journal de voyage une page que j’aimais à croire héroïque. Qu’est-ce que cette bouffée de khamsin, comparée au simoun, au vrai simoun, tel que l’éprouva M. Palgrave quelques jours après son départ de Maan. — Il était midi : le soleil brillait et brûlait ; pas un nuage au ciel. La caravane s’avançait, lente et épuisée par une marche déjà longue au milieu des sables, qui se refermaient après elle comme les vagues après le sillage du navire. Tout-à-coup vint à souffler le vent du sud par violentes rafales. Courbés sur les chameaux, la tête enveloppée dans les burnous, les Bédouins frappaient vigoureusement leurs montures, qui voulaient s’arrêter à chaque pas. Une tente était plantée, comme par miracle, à une courte distance. Là seulement était le salut ; mais aurait-on le temps de s’y abriter ? « Cependant, dit M. Palgrave, l’air devenait de plus en plus étouffant : nos bêtes de somme refusaient d’avancer. L’horizon s’obscurcissait rapidement et prenait une teinte violette ; un vent de feu, pareil à celui qui sortirait de la bouche d’un four gigantesque, soufflait au milieu des ténèbres croissantes ; nos chameaux, en dépit de nos efforts, tournaient sur eux-mêmes et pliaient les genoux pour se coucher. » On arriva enfin sous la tente : chacun se coucha à plat ventre sur le sol sans dire mot ; mieux valait ne pas respirer que de recevoir dans la poitrine ces tourbillons de feu. Au dehors, les malheureux chameaux, étendus à terre et immobiles, avaient enfoui leurs longs cous dans le sable. « Dix minutes se passèrent, ajoute M. Palgrave ; une chaleur semblable à celle d’un fer rouge nous enveloppait de ses brûlantes étreintes ; puis les parois de la tente recommencèrent à s’agiter sous le souffle d’un vent furieux. Le simoun s’éloignait. Nous nous levâmes et découvrîmes nos visages. Mes compagnons