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une erreur est constatée, si un préjudice a été faite à la compagnie, l’agent secret reçoit 7 francs pour prix de sa délation, et le cocher est frappé d’une amende qui peut varier de 20 à 100 francs. Le procédé est ingénieux, les cochers le soupçonnent, mais comment reconnaître ces surveillans discrets qui se laissent, toujours ignorer et n’ont point souci d’avouer l’étrange métier qu’ils font[1] ?

Le produit des amendes est versé à la caisse de la société de secours mutuels et de prévoyance formée entre les cochers et les divers employés ; cette caisse est alimentée en outre par des cotisations mensuelles, par des souscriptions et par une subvention de la compagnie, qui n’épargne rien pour se défendre contre l’âpreté des cochers et pour essayer de les moraliser par le bien-être et l’économie. Les grosses amendes ne sont appliquées que pour vol ; les peccadilles, les insolences, les refus momentanés de service, sont punis par des amendes de 1 à 20 fr. La mise à pied, c’est-à-dire l’interdiction de travailler, est la dernière mesure à laquelle se résout la compagnie, et seulement lorsqu’elle est dans le cas de sévir contre un cocher grossier envers un voyageur. Les cochers redoutent les sévérités de leur administration ; mais ce qu’ils redoutent bien plus encore, c’est la préfecture de police, la curieuse, comme ils l’appellent. En effet elle est leur autorité souveraine, c’est le premier et le dernier ressort de leur juridiction disciplinaire.

Un service spécial est consacré aux voitures de louage, je l’ai étudié en détail, et je ne puis dire avec quelle admiration j’ai vu ce fonctionnement à la fois si simple et si compliqué. Tout semble avoir été prévu ; rien n’est négligé pour assurer le roulement régulier des voitures dans Paris et pour rendre les cochers des serviteurs, non pas dévoués, c’est impossible, mais du moins polis et obéissans. Nul ne peut exercer le métier de cocher de voiture publique sans y être autorisé par la préfecture de police. Une demande ad hoc accompagnée de pièces constatant l’identité du candidat doit être remise dans les bureaux. Une enquête est immédiatement ouverte sur le postulant ; on écrit dans les pays où il a séjourné, aux différens patrons qu’il a pu servir, aux propriétaires des maisons qu’il a habitées, et, selon les renseignemens que l’on a obtenus, on lui refuse ou on lui accorde l’autorisation qu’il sollicite. Lorsque sa moralité paraît suffisante et qu’il est admis au nombre des cochers, on lui donne un numéro qui n’a rien de commun avec celui des

  1. En 1866, la Compagnie générale a payé 220,552 fr. 35 cent, pour frais de surveillance ; sur cette somme, l’agence secrète a reçu plus de 50,000 fr. Les amendes dont les cochers ont été frappés se sont, pour la même année, élevées au chiffre de 139,210 fr. 95 centimes.